Dans la tête de Jean-François
Au Théâtricul, nous suivons les réflexions de Jean-François, un cinquantenaire que l’on peut définir comme un l’archétype du loser magnifique. Malgré ses échecs répétés, il retrouve le panache pour un dernier tour de piste. 7-8 Jean-François, une revanche sur la vie pleine d’humour et d’émotions, à voir jusqu’au 30 novembre dans une mise en scène signée Céline Goormaghtigh.
« Putain ! » lâche Jean-François (Olivier Gabus) à tours de bras. Les tours, c’est justement ce qui lui pose problème dans ses chorégraphies disco. « Le reste, ça va », se rassure-t-il. Mais des problèmes, Jean-François en a aussi dans la vie. Entre cette « grosse connasse, grosse vache » de patronne tellement près de ses sous qu’elle ne veut pas racheter de machine à café, arguant que Jean-François est tellement doué pour la réparer ; son drôle de médecin qui lui demande d’arrêter de boire du Coca et le force à s’inscrire à un cours de danse disco ; et enfin Michaël, ce « camarade » d’enfance revenu s’installer dans la région et inscrit au même cours de danse… C’en est trop ! Jean-François, bien décidé à prouver que sa vie n’est pas si ratée qu’elle n’y paraît, donnera tout pour gagner la 40ème édition de la Coupe de la Night, véritable consécration dans le monde du disco amateur de la région.
Franc-parler et cicatrices
7-8 Jean-François, c’est le monologue intérieur que nous expose cet antihéros. Le voilà qui déroule tout son fil de pensée, entre le moment où il perd son souffle pendant le cours de danse, celui où il revoir Michaël pour la première fois, faisant remonter de désagréables souvenirs, ou encore lorsqu’il ne trouve pas son ouvre-boîtes à la maison… Avec son accent neuchâtelois bien marqué, Olivier Gabus incarne un Jean-François dont le franc-parler fait mouche : un vocabulaire peu châtié, à grands renforts de « putain ! », qui laisse exploser tout ce qu’il a sur le cœur. Et il en a gros ! On rit alors aux éclats en l’entendant faire des commentaires sur ses concurrent-es de la Coupe de la Night ; quand il s’en prend à sa patronne, sa femme de ménage, ou aux fabricants de boîtes de raviolis qui n’en ont que faire de la qualité des matériaux… Cru et sans filtre, avec un naturel déconcertant et une grande sincérité, Olivier Gabus nous transmet toute l’essence de ce loser magnifique imaginé par Alexandra Tiedemann, qui signe le texte de la pièce.

Mais 7-8 Jean-François en dit bien plus. On le comprend à demi-mot face à sa réaction lorsqu’il voit débarquer Michaël, avant d’ouvrir sa boîte à souvenirs – le gag du couvercle qui tombe à chaque fois avec grand fracas fait d’ailleurs exploser la salle. Mais on prend véritablement conscience de ce qui s’est passé durant le concours, lorsque, dans un moment suspendu dans le temps et bien plus poétique que ce à quoi il nous a habitué, Jean-François a peur de perdre ses moyens. L’envolée lyrique dont il fait preuve en dit long sur les traumatismes qui sont restés, des années après le harcèlement qu’il a subi. Une thématique dont on parle beaucoup, et dont ce spectacle illustre bien les traces qu’il peut laisser. Alors, dans sa résilience et sa revanche sur la vie, il n’y a certes rien de révolutionnaire ou d’inédit, mais le résultat fonctionne parfaitement, grâce à d’excellents choix de mise en scène.
Drôle, intime et poétique
7-8 Jean-François se présente d’abord comme un spectacle à l’humour débordant. Outre le texte et l’accent qui l’appuie, on remarque aussi la gestuelle. Nous voici hilares lorsqu’il danse, mime le grand écart, utilise son pouf comme une cape ou enfile ses chaussures trop petites pour le concours… Autant de détails de mise en scène imaginés par Céline Goormaghtigh, avec la complicité de Verena Lopes pour les mouvements et d’Eléonore Cassaigneau aux costumes, qui contribuent à nous faire rire durant la majeure partie de la pièce. Mais 7-8 Jean-François n’est pas que drôle. C’est aussi une plongée dans l’intime de cet homme, avec la musique diffusée par Frédérique Jarabo, constamment en fond sonore. Elle accompagne une scénographie intelligente de Célia Zanghi, supportée aussi par la lumière de Danielle Milovic. L’espace se sépare ainsi entre la salle de répétition et l’appartement de Jean-François, marqué par le changement de musique et de lumière, ainsi qu’un décor minimaliste. Mais il n’en fallait pas plus. Puis, dans la dernière partie, la scène devient entièrement le lieu du concours, que Jean-François occupe enfin pleinement, comme pour marquer l’importance du moment.

Il nous faut enfin évoquer la scène finale, qui nous apparaît d’abord moins convaincante, car moins drôle et moins dans le concret que ce qui a précédé. Plus poétique, peut-être plus métaphorique, il nous faut du temps pour la digérer et l’intégrer. Elle amène pourtant la touche de profondeur qui manquait, avec une réflexion plus large, pour ne pas rester dans le simple humour potache. L’utilisation de la lumière blanche pour éclairer le personnage apporte aussi à cette dimension plus poétique. Sans pour autant tomber dans un pathos qui n’aurait pas lieu d’être, cette scène nous révèle toute la complexité de ce qui se passe dans la tête de notre loser magnifique : s’il en est là aujourd’hui, c’est à cause de son passé, et grâce à sa résilience. Les histoires d’enfance, a priori insignifiantes, peuvent laisser des traces indélébiles. Heureusement, Jean-François nous montre qu’on peut s’en servir comme d’une source de motivation, même s’il s’en serait bien passé…
Fabien Imhof
Infos pratiques :
7-8 Jean-François, d’Alexandra Tiedemann, du 11 au 30 novembre 2025 au Théâtricul.
Mise en scène : Céline Goormaghtigh
Avec Olivier Gabus
Photos : ©Carole Parodi
