Dans l’après filage de Je suis accompagnée
À l’approche de la première de Je suis accompagnée au Galpon, nous sommes allés à la rencontre de la Compagnie Revolver. À l’issue du premier filage, les discussions étaient nombreuses, avec comme point central les effets produits par les différents éléments constitutifs de la pièce.
Je suis accompagnée, c’est un projet de Pascal Gravat, dans lequel il revient sur ce qui subsiste de son enfance. Lui qui se tient d’abord seul sur la scène, « cabossé, sensible et incandescent[1] », procède à l’aide de l’écriture automatique. Grâce à elle, il cherche des bribes de son enfance, à travers des images, souvenirs et autres anecdotes. C’est à une forme de (re)mise au monde que nous assisterons dans ce spectacle de danse performance, émaillé de passages théâtraux. Entre impressionnisme et surréalisme, Pascal Gravat se met véritablement à nu, de manière crue, à travers toute la violence que cela peut engendrer, revenant sur le chaos fondateur et les ombres qui l’accompagnent, consciemment ou non. La vraie histoire d’un artiste, en somme.
Ménager les effets
À mon arrivée en fin de journée dans la salle du Galpon, l’équipe vient de terminer le tout premier filage de la pièce. Bien sûr, beaucoup d’éléments sont encore à travailler, qu’il s’agisse des durées de certains passages, du rythme, des transitions, des mouvements, de la musique, des placements, de la lumière ou encore des intentions corporelles et au niveau du jeu. Pascal s’entretient donc avec Julia Batinova (collaboration à la dramaturgie et jeu), Clive Jenkins (création sonore), Pierce Warnecke (images et musique) et Jean-Marc Tinguely (lumières). Ensemble, ils et elle débriefent ce premier filage, reprenant pas à pas tous les éléments à discuter et réfléchir, de manière chronologique. En procédant ainsi, la troupe note les propositions et autres éléments à tester pour le lendemain.
Ce qu’on retient de cette discussion, ce sont les effets qu’auront tous les choix sur la trame du spectacle et sur le public. On parle ainsi, pêle-mêle, des différentes thématiques et spécialités de chacun·e. C’est qu’il faut aussi que le tout soit cohérent et que chaque élément fonctionne avec les autres. On évoque ainsi d’abord le visuel, avec ce qu’on voit ou non depuis les gradins, quels effets produisent la lumière, mais aussi les sources de celles-ci, d’où elles viennent et comment l’éclairage et les ombres en sont influencé·e·s. À cela viennent s’ajouter des questions de rythme, au niveau du texte, et de volume sonore : lorsque quelque chose d’intime est prononcé, il faut qu’on l’entende, sans que la musique ne prenne le dessus. Des réglages devront donc être affinés, avec la possibilité d’ajouter, pourquoi pas, des effets sonores, comme de la réverb. Pascal propose alors de faire, durant les prochains jours, une traversée avec chaque expert, au son, à la lumière, à l’image et à la musique, afin de régler tous les détails, pour pouvoir les mettre ensuite en commun.
Chaque détail compte
Les effets sonores ont eux aussi leur importance, notamment dans les transitions entre les scènes. Optera-t-on plutôt pour un double fade au niveau de la musique ou une coupure nette ? Comment organiser la montée et la descente des différents morceaux et à quels moments ? La transition sera-t-elle sèche ou faite en douceur ? Pour répondre à ces questions, tout le monde échange, donne son avis, après avoir vu l’ensemble du spectacle. En ayant connaissance de cette trame générale, les opinions peuvent ainsi s’affiner. Au niveau du son et de la lumière, il est aussi question de réglages purement technique : comment tout mettre ensemble pour simplifier l’organisation, sans avoir besoin de tout reprendre manuellement à chaque fois ? Il est aussi question de l’intensité, qu’il s’agisse de la lumière, du son ou même du jeu, de manière à assumer certains effets plus fortement, ou laisser planer une forme de doute. Doit-on étirer certains sons, pour donner plus de temps aux impressions de magie que donne un son, ou faut-il au contraire accentuer le côté tragique ? Le choix des durées et des transitions produira un effet totalement différent sur le public selon ce qui est décidé. Chaque détail compte, donc.
C’est alors que la question de la frustration fait son apparition, Pascal Gravat rappelant ce que disait Bowie à ce sujet, sur le fait d’en donner juste assez, mais pas trop, pour créer cette forme de frustration au sein du public, qui est alors amené à en demander plus et à réfléchir. Avec cette question centrale : que veut-on raconter ? Pour y répondre, il faut aussi réfléchir aux intonations et attitudes corporelles, en dégageant une impression plus sérieuse ou plus détendue, selon les moments. Le jeu du regard a également son importance, et peut lui aussi produire différents effets. Tout est donc question de précision, de timings : quand déclencher certains éléments, quelle dynamique envisager, à quel moment entrer dans une dimension plus ou moins psychédélique ?
Synchroniser pour mieux avancer
Il faut alors que tout entre en synchronisation : lumière, musique, images et texte, alliés au jeu et à la danse. Le placement du performeur est donc important, pour ne pas venir parasiter ces différents éléments, selon la prise de lumière, le placement des projecteurs, et les mouvements du tulle central. Le filage, filmé, permet alors de vérifier différents éléments, sur la projection de la vidéo, comme sur les effets visuels. Un autre élément est discuté : le texte. Quelles phrases donneront le « top » pour les différentes transitions ? Quels effets aura l’utilisation du micro, qui poussera Pascal et Julia à modifier certaines intonations ? Faudra-t-il faire certaines coupes, pour modifier le sens, en pensant aux passages vidéo à retravailler en fonction de cela ?
Une grande organisation
En pensant à tout cela, il faut aussi s’organiser pour la suite : quel sera le programme des prochains jours ? Beaucoup d’idées ont été évoquées, ce qui occasionnera donc beaucoup de travail pour tout le monde. Décision est prise de tourner à nouveau certaines vidéos, permettant notamment à certains d’arriver un peu plus tard. Ensuite, il faudra reprendre les scènes les unes après les autres, en fixant certaines décisions et en reprenant ce qui ne convient pas jusqu’ici. Le tout en gardant une certaine liberté, et une forme de contrôle, si les timings ne sont pas toujours respectés comme prévu dans les entrées et autres transitions.
Dans ce grand travail collectif, et après s’être mutuellement félicité – c’est important ! – il faut aussi apprendre à se ménager, pour ne pas saturer. On décide donc de s’organiser au jour le jour, tout en pensant aux moments de travail en solo, pour le montage vidéo par exemple. En gardant tout cela en tête, l’équipe réfléchir également à la manière dont il faudra gérer les effets : il faut bien que ceux-ci s’égrènent au fil du spectacle, pour ne pas tout dévoiler dès les premières minutes…
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Je suis accompagnée, de Pascal Gravat et la Cie Revolver, du 3 au 13 avril 2025 au Théâtre du Galpon.
Création et interprétation : Pascal Gravat
Images et musique : Pierce Warnecke
Création sonore : Clive Jenkins
Collaboration à la dramaturgie et interprétation : Julia Batinova
Lumière : Jean-Marc Tinguely
Scénographie : Collectif 5m.50
Collaborateur : Pierre Alexandre Lampert
Administratrice et chargée de production : Anahide Ohannessian
https://galpon.ch/spectacle/je-suis-accompagnee/
Photo : ©Grégory Batardon
[1] Extrait de la présentation du spectacle sur le site du Galpon.