De bric-à-brac en nostalgie
Avec Consoler Madeleine, la Cie les Grandes Fragiles présente un spectacle drôle et touchant, en voyageant dans les souvenirs remémorés grâce à des objets. Une tragi-comédie tout en douceur et en nostalgie à voir jusqu’à dimanche au Théâtricul.
Sur le petit plateau du Théâtricul sont amassés des tas de caisses et d’autres objets, pour un décor tout encombré. Nous voilà immédiatement plongé·e·s dans l’ambiance, au cœur de la maison que Madeleine doit finir de débarrasser. En plus des nombreuses caisses en bois, on retrouve un portrait de la tante Simone, une vieille radio qui ne fonctionne plus, une jolie maison de poupées, ou encore une échelle qui sert d’accès au grenier. Madeleine (Perrette Gonet), donc, est la dernière héritière de cette maison et du parc familial. Alors qu’elle doit faire le tri entre ce qu’elle va garder, ce qui sera jeter et ce qu’elle donnera, elle fait appel à Cold Débarrasse-tout (Mitch Morin). La rencontre entre cette dame qui se perd dans ses souvenirs et ne voit pas le bout de sa tâche, et ce jeune homme a priori dénué de toute forme d’empathie va permettre à Madeleine de redécouvrir certains objets, se remémorer des souvenirs, et d’arriver enfin à franchir le pas de cette étape difficile du deuil.
Plongée dans les souvenirs
Les véritables stars de la pièce ne sont autres que ces objets rangés dans des caisses. Chacun raconte une histoire, évoque un souvenir, rappelle une anecdote. Ils font ainsi surgir de jolis moments de nostalgie, comme quand Madeleine raconte que tout le monde venait étendre son linge sur leur étendage, ou que les enfants du quartier ont passé des heures dans la maison et le parc. Ils permettent aussi d’exorciser d’autres souvenirs plus douloureux, comme cette histoire avec le cabanon du jardinier, ou encore les trois boîtes en aluminium dont Madeleine peine à se séparer.
Surtout, ce qui se joue sous nos yeux fait fortement écho en nous : qui n’a pas vécu ce moment où il faut trier les affaires d’un·e proche disparu·e, sans savoir trop qu’en faire ? On a alors envie de tout garder, que ce soit pour les souvenirs, par loyauté ou parce qu’on se dit que cela nous sera utile un jour. À travers cette réflexion autour des objets, de leur signification et de ce qu’ils évoquent, Consoler Madeleine évoque aussi le deuil et ses étapes, de manière subtile. Celles-ci sont à peine prononcées par Cold lors d’un coup de téléphone, mais on voit Madeleine les vivre, certaines se mélangeant parfois dans son esprit. Toute perdue entre ses souvenirs, elle doit faire face, bien que parfois dépassée par ses émotions et ses souvenirs.
La force du souvenir
Cold le dit d’emblée dès son arrivée : il n’a aucune empathie. On ne sait d’ailleurs pas trop s’il s’appelle Cole ou Cold, mais la deuxième option paraît convaincante, puisqu’il semble être quelqu’un de plutôt glacial. C’est aussi ce qui lui permet d’exercer son métier efficacement : il trie de façon pragmatique, ne cherche pas plus loin que ce qu’il voit et n’a pas le temps pour penser. Et pourtant… On s’en doute, tout ne peut pas être aussi simple. Au fil de la pièce, son caractère va beaucoup évoluer, et on le verra se montrer très humain, en soutenant Madeleine lorsqu’elle commence à s’écrouler.
C’est aussi lui qui amène la grande dimension comique du spectacle. On citera cette scène où, après un hurlement de Madeleine, il place un périmètre de sécurité et observe ce qui se trouve dans un sac, avant de décider comment éliminer la menace… On pourra aussi citer ce nombre incalculable de bouteilles d’eau bénite, toutes à l’effigie de la Vierge Marie, provoquant d’étonnantes réactions chez le déménageur. Surtout, ce que l’on retient, c’est que lui aussi finira par ouvrir sa boîte à souvenirs, évoquant notamment, à l’aide d’une carte trouvée là, ses voyages, et comment il est devenu Cold Débarrasse-tout. On apprécie alors de le voir s’ouvrir, montrer ses émotions et créer un véritable lien avec Madeleine. Sans doute que celui-ci se crée aussi car il rappelle à Madeleine les enfants qu’elle n’a jamais eu, tandis que lui est parti très jeune de chez lui et a peut-être manqué certaines choses avec sa famille. On imagine en tout cas tout un univers de possibles, et cela touche. D’autant plus, et on conclura sur ces mots, lorsqu’il demande à Madeleine de lui faire une promesse : « Ne mourez jamais Madeleine. »
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Consoler Madeleine, de la Cie les Grandes Fragiles et Perrette Gonet, du 14 au 23 février 2025 au Théâtricul.
Mise en scène : Olivier Carrel
Avec Perrette Gonet et Mitch Morin
Photos : ©Isabelle Meister