Les réverbères : arts vivants

Donner une voix au Volcan silencieux

Le projet de Diane Muller est enfin sur les planches du Théâtre du Loup. Avec Un Volcan silencieux, elle donne la parole à des femmes nées, comme elle, en 1979, avec toutes les interrogations et réflexions que cela comprend. Une expérience sociologico-théâtrale à voir jusqu’au 23 novembre, avec le festival Les Créatives.

À l’origine du projet, il y a cette envie de Diane Muller de savoir ce que ces femmes – alors enfants et adolescentes, comme elle, lorsqu’elle les a rencontrées – avec qui elle a grandi étaient devenues. Une envie partagée, puisque plusieurs d’entre elles l’ont recontactée sur les réseaux sociaux, en lui demandant « C’est toi la Diane de mon enfance ? » Jamais elle n’aurait pu les retrouver, avec leur changement de nom suite à une union. Toutes sont arrivées à une étape charnière de leur vie, pour diverses raisons. Finalement, Diane Muller en a rencontré dix, durant des entretiens de deux à trois heures, à leur domicile. Elles ont parlé de leur vie, des souvenirs, de leurs enfants, de leurs relations, des doutes, des échecs, des réussites… Il a ensuite fallu un long travail de transcription, puis de sélection des passages à retenir en vue du spectacle sur scène. Ces extraits lui sont diffusés à l’aide d’une oreillette, et elle les redit en direct. Tout cela nous est expliqué en voix-off au début du spectacle, afin de créer une première proximité avec le public. Même si elle n’est pas encore présente à ce moment-là dans le dispositif en bi-frontal, elle s’adresse à nous comme elle le ferait à des amis, pour leur expliquer le concept, avec ses réflexions à voix haute, comme si le discours était encore en construction. Puis la voilà qui entre sur scène, avec son sweatshirt beige à capuche et son legging rouge. Tout commence alors.

Théâtre de l’intime

Un Volcan silencieux est un objet difficile à décrire. On assiste à une mise en scène théâtre, tout en y voyant une dimension sociologique affirmée, et une absence de jeu au sens classique du terme : pas de texte appris et incarné ensuite. Certain-es pourraient d’ailleurs le lui reprocher, en s’attendant à voir une pièce de théâtre dont on aurait plus l’habitude. Il est vrai que le dispositif, avec cette oreillette, peut dérouter. Passé ce premier obstacle, on commence à comprendre le choix : cela lui permet de transmettre la parole avec la même intonation, et toutes les hésitations dans la voix, comme si on nous le disait là, en direct, sans intermédiaire. Et c’est là tout l’intérêt de ce dispositif. Sous cette apparence de naturel, il y a tout de même une forme de médiation, la parole passant par la comédienne. Une manière de garantir l’anonymat de ces femmes – les noms ont d’ailleurs été modifiés – et de retrouver cette forme d’artificialité du théâtre. Une autre dimension est alors donnée à ces témoignages. Le choix du dispositif, en utilisant l’intermédiaire de la comédienne permet de créer quelque chose de plus universel – on aurait presque envie de dire essentialisant. Ce ne sont plus seulement ces femmes, en tant qu’individus, qui témoignent, mais cela pourrait être n’importe qui : nos mères, nos sœurs, une amie… Une manière aussi de nous renvoyer à nos propres souvenirs et à nos relations, pour y transposer ce qu’on entend, même s’il ne s’agit que de bribes.

Surtout, cette parole revêt quelque chose d’intime. Le dispositif scénique, en bifrontal, crée cette proximité, avec des spectateur-trices qui se voient, échangent des regards, et une comédienne qui se tient aussi proche de nous, sans la distance du quatrième mur. La genèse de la pièce, avec ces entretiens réalisés à domicile, a également permis de libérer cette parole. On refait alors le lien avec le titre, et ce Volcan silencieux prêt à entrer en éruption. Ces femmes racontent alors leurs séparations, des rencontres, la relation avec leurs enfants, les souvenirs d’adolescence, parfois douloureux. On évoquera cette femme qui raconte avoir été comparée à une vitre, parce qu’elle « n’avait pas de seins » à l’époque. On parlera aussi – et c’est sans doute le témoignage qui m’a le plus touché – de cette autre femme, dont le mari ne veut plus de la relation avec elle, ni avec les enfants, mais reste encore dans l’appartement un moment. Jusqu’à ce que le mot « séparation » soit enfin prononcé et que, quelque temps plus tard, elle parvienne verbaliser le fait qu’il les a abandonnés. On entre alors véritablement dans l’intimité de ces témoignages, qui résonnent en nous. Qu’on soit femme et qu’on s’identifie à cela, ou qu’on soit homme, de l’autre côté de la barrière, et qu’on y voit nos mauvais comportements. Pourtant, Un Volcan silencieux n’est pas un pamphlet féministe. Il invite plutôt à réfléchir à nos rapports humains, les mythes de l’enfance, les idées qu’on se faisait de l’avenir, et ce que la vie nous réserver, sans distinction de genre, bien que le point de départ soit ces témoignages de femmes nées en 1979. On parle souvent d’intime et d’universel qui s’entremêlent, on ne pourrait être plus à-propos ici.

De la réalité au conte de fées

Le choix du costume rappelle l’univers du conte de fées : une veste évoquant le Petit Chaperon rouge et une fourrure de loup (en peluche) avec la tête de ce dernier. On regrettera sans doute que le lien entre le propos et le costume ne soit pas plus explicite, appuyé par exemple par la voix-off qui vient ponctuer certains témoignages et apporter des précisions sur le travail qui a précédé la création du spectacle. Cet aspect du costume peut être difficile à comprendre pour quelqu’un qui n’aurait pas déjà compris ce choix. On peut y voir une dimension plus métaphorique de ce spectacle, qui nous sort en partie du côté sociologique pour réancrer le propos dans l’univers théâtral. Cette allusion au conte de fées pourrait alors faire référence à la manière dont nos vies sont modelées sur ce qu’on y entend : « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », comme une injonction à la vie de couple et de famille parfaite. Pourtant, cette vision des choses est bien souvent chamboulée par la vie, et l’aspect de solitude ressort, de différentes manières, des témoignages. Le Petit Chaperon rouge et le loup pourraient aussi être deux facettes d’une même personne, représentant d’un côté l’innocence et la naïveté avec laquelle on entre dans la vie, face au prédateur auquel on fait face. Un prédateur qui, d’ailleurs, peut aussi vivre à l’intérieur de nous…

On regrettera peut-être également la durée du spectacle, moins d’une heure. Il n’aurait rien perdu à être agrémenté de quelques témoignages en plus. Car certaines histoires sont poignantes, sans trop en faire non plus, pour montrer la réalité. Toutefois, le tout manque parfois de liant, avec des expériences isolées, si ce n’est l’âge et le contexte dans lequel ont grandi toutes ces femmes. Il y aurait peut-être eu quelque chose à faire au niveau dramaturgique pour créer encore plus de lien et amener un message. Mais cela n’aurait-il pas desservi les intentions de Diane Muller, qui nous disant en interview : « Maintenant, cela va être comment le grand public s’en empare. Au départ je pensais ne l’adresser qu’aux concernées et puis petit à petit un public plus jeune, plus vieux, ou masculin s’en empare également avec plaisir, donc je suis plutôt en confiance sur la réception puisque le projet s’est construit petit à petit avec le public lors des sorties de résidences. » À chacun-e de prendre ce qu’il ou elle y voit, ressent, entend, pour faire résonner sa propre histoire avec le texte. L’équilibre demeure difficile à trouver, entre trop donner au public ou le laisser s’emparer de ce qui est raconté. Un Volcan silencieux demeure ainsi constamment sur le fil du rasoir.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Un Volcan silencieux, de Diane Muller, Cie DianeM, du 18 au 23 novembre au Théâtre du Loup, en collaboration avec le festival Les Créatives.

Mise en scène : Diane Muller

Avec Diane Muller

https://theatreduloup.ch/spectacle/un-volcan-silencieux/

Photos : © Nora Rupp

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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