For Me By Me
Près de vingt ans après la sortie de Inside Man, le duo légendaire Spike Lee/Denzel Washington nous revient pour une adaptation moderne du chef-d’œuvre d’Akira Kurosawa.
Il existe de nombreux « couples » qui ont marqué l’histoire du cinéma : Scorsese et De Niro, John Ford et John Wayne, Tim Burton et Johnny Depp. Si elle n’est pas aussi importante que d’autres, celle de Spike Lee et Denzel Washington a néanmoins marqué son époque, voir même ses époques et a produit certains des films les plus marquants de l’histoire du cinéma de l’Amérique noire tels que Malcom X, He Got Game ou encore Mo’ Better Blues. La dernière collaboration datant de Inside Man, sorti en 2006, soit il y a presque vingt ans, on était donc en droit d’attendre ces retrouvailles.
Highest 2 Lowest est basé sur le film Entre le ciel et l’enfer (1963) d’Akira Kurosawa. Dans celui-ci, un grand patron d’une usine de chaussure, interprété par Toshiro Mifune, doit payer une rançon faramineuse qui le ruinerait au ravisseur de son fils. Il se retrouve ensuite face à un choix cornélien lorsqu’il se rend compte que son ravisseur a enlevé le fils de son chauffeur, mais que celui-ci exige tout de même la rançon sous peine d’exécuter l’otage. Highest 2 Lowest reprend la même trame que le film original mais Spike Lee en change plusieurs aspects. Le magnat de la chaussure devient un magnat de la musique, le chauffeur devient l’un de ses meilleurs amis et l’enfant kidnappé…son filleul.
Si tous ces choix peuvent sembler répondre au besoin de se réapproprier la narration du film, ils ne sont en réalité pas anodins et impactent le propos du film. Bien au contraire, ceux-ci endommagent sérieusement la crédibilité du film. Car ce sont précisément ces « détails » qui rendent plausibles le dilemme auquel fait face David King (Denzel Whashington). Alors que dans la version originale, on comprend la difficulté qu’a le personnage de Mifune de choisir de sauver ou non le fils d’un employé, l’on a beaucoup plus de peine à croire le conflit personnel de King lorsqu’il s’agit d’un membre de sa famille. Cela rend un peu superficiel toute la suite du film en ce qui concerne la psychologie des personnages.
Cette superficialité se reflète alors dans l’ensemble du film où l’on a l’impression de visionner deux films en un, au point où l’histoire originale ne semble plus être autre chose qu’un prétexte à ce qui paraît être le véritable propos du film. Celui-ci est en effet empli de longs plans s’arrêtant sur des photos, peintures ou encore posters renvoyant à de grandes personnalités des arts telles que Stevie Wonder ou Basquiat ou encore politiques comme Kamala Harris. On retrouve alors ce thème cher à Spike Lee qui est de rendre hommage à la culture afro-américaine, ou plutôt à une partie de la culture de celle-ci. En effet, Spike Lee semble plus rendre hommage à une certaine époque et à certaines valeurs inhérentes s à celle-ci que parler à l’ensemble de la communauté. Celle où l’on obéit à sans discuter à son père sous peine de se prendre un coup ou les anciens savent mieux que les jeunes. En d’autres mots, la old school vient guider une new school que Lee semble considérer comme égarée, voire même frivole et désintéressé des questions sociétales et de la « vraie » culture afro-américaine. Loin donc des idéaux communautaires que Spike Lee a passé sa carrière à défendre
Cette approche incroyablement simpliste pour un réalisateur de bientôt septante ans se révèle particulièrement gênante lorsque l’on assiste à la confrontation entre Denzel et le ravisseur Yung Felon (A$AP Rocky). Ce dernier, arrogant, ne semble être attiré que par l’appât du gain tandis que Denzel, bon prince malgré l’enlèvement de son filleul, souhaite lui donner quelques leçons de vie lors d‘une joute verbale lunaire. Comme toutes les autres scènes clés du film, on frôle la caricature. En effet, les moments du film où la profondeur des personnages aurait pu (dû !) être révélée tombent tous à plat tant l’écriture et les dialogues apparaissent simplistes. Le tout est porté par un jeu d’acteur pauvre. On n’arrive pas prendre Jeffrey Wright au sérieux en ex-taulard converti à l’Islam comme on n’arrive pas à ne pas sourire lors des incessantes phases de shadowboxing en voiture ou en marchant de Denzel Washington.
Il est un autre élément auquel Spike Lee donne également l’impression de rendre hommage : lui-même. Il semble s’autoréférencer à de multiples reprises en invoquant des images familières de ses films. Le personnage de Paul (Jeffrey Wright), criminel repenti et membre du Nation Of Islam, rappelle le portrait de Malcom X ; Trey, le fils de King, basketteur prometteur, celui de Jesus dans He Got Game, lui aussi fils de Denzel. On retrouve même Rosie Perez pour une apparition qui nous renvoie trente-six ans en arrière pour l’iconique Do The Right Thing. Spike Lee nous donne alors toutes les raisons alors de confirmer cette réputation de porte-parole autoproclamé de la communauté afro-américaine qui lui colle à la peau. Dans le film original de Kurosawa, titré en anglais High and Low, le « high » and « low » renvoyait aux statuts inégaux de la société japonaise. Chez Spike Lee, comme chez King qui apparaît alors comme son alter-ego à l’écran, on a plus l’impression que le « highest » et « lowest » se réfèrent au statut que Spike se donne au sein de sa propre communauté, à savoir la plus haute place évidemment.
Il reste à parler de la musique. Qu’il s’agisse de jazz comme dans Mo’ Better Blues, de rap comme dans Do The Right Thing ou encore de musique épique comme dans He Got Game, celle-ci a toujours joué un rôle central dans l’œuvre de Lee où elle joue parfois même un rôle à part entière. Dans Highest 2 Lowest, elle semble quelque peu, pour ne pas dire complètement hors-sujet. Lee a opté majoritairement pour une musique épique qui n’est pas sans rappeler, comme dit plus haut, He Got Game ou encore Inside Man. Toutefois, on peine à faire concorder cette ambiance avec celle de David King, le producteur légendaire sensé représenter la black music, particulièrement lors d’une course-poursuite sur fond de musique irlandaise. Loin de consolider le film comme c’est habituellement son rôle, la bande originale rend l’ensemble plus confus qu’autre chose.
En définitive, Highest 2 Lowest apparaît comme étant une retrouvaille manquée entre Spike Lee et Denzel Washington. On assiste à une histoire quelque peu confuse et prétentieuse dont le seul but paraît d’être de complimenter les deux personnalités. Dommage car tous les éléments pour faire un bon film étaient là. À voir pour se donner envie de visionner l’original de Kurosawa.
Alexandre Tonetti
Références :
Highest 2 Lowest, réalisé par Spike Lee, USA, disponible en streaming le 5 septembre 2025
Avec Denzel Washington, Jeffrey Wright et A$AP Rocky
Photo : © 2025 A24
