Fresque artistique face à la peur
Sur la scène du bas, au Grütli, un spectacle à l’énergie incroyable prend place, dans une mise en scène de Patrick Mohr. Sept comédiennes et quatre musiciens s’allient pour nous inviter à nous dresser contre nos angoisse et tenter, enfin, de Murer la peur.
Murer la peur s’apparente à un ode à la diversité : Patrick Mohr, dans son mot d’introduction, nous dévoile que les artistes viennent principalement du Sénégal et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Mali ; alors qu’une autre comédienne arrive directement de Cuba. Après avoir été joué à la Parfumerie et avoir tourné en Afrique, Murer la peur est donc de retour sur les Scènes du Grütli, pour nous inviter à nous positionner face à nos peurs. C’est d’ailleurs ainsi que la soirée débute : après avoir dévoilé la magnifique scénographie, constituée d’un grand tissu bleu en fond de plateau et au sol, et d’un podium sur lequel trônent les musiciens et leurs instruments, l’une des comédiennes nous demande quoi on a peur. « Du noir ! », « De la mort ! » entend-t-on dans le public. Petit à petit, ces peurs laissent place à d’autres, plus profondes encore, en s’appuyant sur les mots de Mia Couto, grand auteur mozambicain, et ceux de quelques autres plus qui viennent agrémenter l’histoire du soir. Il ne nous reste plus qu’à embarquer dans cette aventure, portée par l’énergie impressionnante des 11 artistes sur scène.
Explorer les peurs
Durant un peu plus d’une heure, de nombreux thèmes sont abordés, de manière frontale ou plus métaphorique. Il est question de lutte des classes, d’écologie, de guerres, de dérèglement climatique, de violences faites aux femmes, aux enfants, de maladies… Les références, elles aussi sont variées : outre Mia Couto, dont l’œuvre qui donne son titre au spectacle constitue la trame de base, on retrouve le discours de Greta Thunberg aux Nations Unies, des paroles de Thomas Sankara, ou d’autres fables qui en disent long sur l’état du monde. On retiendra également cette jolie métaphore de la baleine, en lien avec la surconsommation, qui donne lieu à de grands débats entre les artistes du spectacle.
Face à nos peurs, une seule solution : se dresser. C’est sans doute le message qu’on retient de ce spectacle aux influences multiples. Mêlant théâtre, discours, musique et danse, Murer la peur est réglé comme du papier à musique. On alterne ainsi entre différentes approches, qu’on explore face à la peur. Il y a cette envie de se résigner, de crier haut et fort qu’on veut lutter ; on peut parfois avoir envie de baisser les bras ; mais ce qui marque surtout, c’est cette volonté de ne pas laisser les choses se faire. Ainsi, avec une incroyable énergie, les chorégraphies se suivent, les artistes enfilant des bleus de travail pour illustrer les difficultés du monde ouvrier, ou des vêtements colorés pour symboliser une forme de résilience. Haut les cœurs, pensons-nous. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Il faut alors continuer à lutter, à s’insurger contre ce qui nous choque, pour ne pas céder face à la peur.
Énergique et puissant
Pour continuer à lutter, il y a bien sûr les mots, puissants, qui résonnent, bien que parfois déjà trop entendus. Mais il y a aussi et surtout l’énergie corporelle de ces onze artistes. À travers les danses et musiques traditionnelles, particulièrement rythmées et incroyablement synchronisées, les comédiennes font étalage de tout leur talent : jeu, dimension corporelle… Accompagnées des musiciens, qui embarquent aussi le public avec eux, elles nous invitent à ne pas rester statiques, à bouger, à vivre, à demeurer en mouvement.
De manière plus symbolique, c’est aussi une invitation à continuer à fêter la vie. Car si les peurs demeurent omniprésentes, on peut y faire face, on peut lutter et apprendre à vivre avec. Alors, pour Murer la peur, continuons à danser, chanter, et surtout, surtout vivre.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Murer la peur, d’après des textes de Mia Couto, Simon Abkarian et Pierre Rabhi ; des citations de Greta Thunberg, Fatou Diome, Nelson Mandela, Thomas Sankara et Jimi Hendrix ; ainsi que des textes en français écrits par Patrick Mohr et l’équipe du spectacle, du 19 au 23 mars aux Scènes du Grütli.
Mise en scène : Patrick Mohr
Avec Aminata Badji, Mame Diarra, Gnagna N’Diaye, Cathy Sarr, Aissatou Syla, Maimouna Doumbia, Amanda Cepero, Dramane Dembelé, Khalifa Mbaye, Papis Diebaté, Adama Diop et Fallou Diop
https://grutli.ch/spectacle/murer-la-peur
Photos : ©Saliou Diouf