Les réverbères : arts vivants

La cible introuvable de Marco Berrettini

Marco Berrettini, chorégraphe subversif s’il​ en est, présentait son dernier spectacle Jiddu de sa compagnie *Melk Prod ​au Théâtre​ de l’Orangerie. Entre rondes folkloriques, Pink Floyd et fléchette tombée du ciel, le chorégraphe nous rappelle qu’au théâtre, toucher la cible n’est jamais garanti. 

Italo-allemand basé​ à Genève, Marco Berrettini aime brouiller les pistes​ : son parcours l’a mené​ de champion​ de disco adolescent​ à figure incontournable​ de la danse contemporaine. Sa démarche créative allie humour, réflexion critique et multidisciplinarité, il s’attache​ à bousculer les conventions​ du spectacle vivant. 

Avec Jiddu, Berrettini propose une sorte​ de retour aux sources. Puisant dans l’imaginaire folklorique​ de​ sa Bavière natale,​ іl convoque sur scène une troupe​ de danseur-euses (Sébastien Chatellier, Kevin Fay, Tristan Ihne, Manuella Renard et Emma Terno)​ en culottes​ de cuir​ et hautes chaussettes. Chacun-e entre successivement dans l’espace, rejoint​ un cercle​ de lumière​ au centre​ du plateau,​ et contribue​ à installer​ la pièce dans​ un rituel collectif. 

 

Le cercle devient​ le véritable motif​ de​ la soirée​ :​ à​ la fois symbole​ de cohésion​ et d’exclusion,​ de communauté​ et​ de repli sur soi. Les interprètes​ en déclinent les formes avec inventivité : échanges​ originaux de tee-shirts, rondes folkloriques resserrées, pas détournés​ de leurs codes traditionnels.​ Chaque mouvement est répété, étiré, créant une ritournelle lancinante. À​ ce jeu​ de variations s’ajoute une bande-son éclectique, allant​ du jazz aux nappes planantes​ de Pink Floyd, en passant par Bach mais aussi la Fanfare du Loup qui s’invite sur scène pour un instant, ce qui déstabilise encore davantage les repères​ du public. 

Le ton oscille constamment entre sérieux​ et dérision. Berrettini nous sert des invectives en allemand et un discours sur le capitalisme illustré avec des exemples bavarois, puis instaure une inquiétante étrangeté avec des figures masquées et des bouées en forme de bretzel et de chope de bière. Un danseur s’adresse directement​ au public pour lui demander s’il​ en​ a​ « assez​ »​ et s’il souhaite une​ « vraie fin​ ». Pour finir, une fléchette tombe​ du plafond, manquant le rond lumineux, comme​ un gag absurde soulignant l’impossible visée​ de​ la pièce​ : toucher juste, mais où,​ et pour qui ? 

Cette ronde infernale, interminable pour certain-es, réjouissante pour d’autres, installe une confusion volontaire. Berrettini transforme​ la scène​ en​ un terrain​ de jeu mouvant,​ оù les règles​ se brouillent​ au fur​ et​ à mesure qu’elles s’énoncent.​ En résulte une expérience paradoxale​ : rafraîchissante par​ son originalité et sa dérision, mais aussi frustrante par son opacité​ et son refus assumé​ de livrer une conclusion nette. 

Alors, Jiddu a-t-il manqué​ sa cible​ ?​ Ou faut-il accepter que, chez Berrettini,​ la cible elle-même​ se dérobe, pour mieux nous forcer​ à reconsidérer​ ce que nous attendons d’un spectacle​ ? 

Léa Crissaud 

Infos pratiques : 

Jiddu, de *Melk Prod / Marco Berrettini, du 13 au 17 août 2025, au Théâtre de l’Orangerie. 

Mise en scène : *Melk Prod / Marco Berrettini 

Avec Sébastien Chatellier, Kevin Fay, Tristan Ihne, Manuella Renard, Emma Terno 

Photos : ©Lucy Vigoureux 

Léa Crissaud

Passionnée par la culture sous toutes ses formes, Léa s’est engagée au sein du comité de La Pépinière il y a un an. Elle y coordonne aujourd’hui le Pôle Cinéma, avec la volonté de partager sa passion et de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Elle écrit entre son travail de barista, ses études en médiation culturelle, et la coordination des cours à la Fête de la danse de Genève.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *