Les réverbères : arts vivants

L’autisme, ce drôle d’animal !

Du 17 au 21 septembre s’est tenue une « conférence » scientifique pas comme les autres. Dans une petite salle intimiste au Théâtre des Grottes, quelques curieux du monde marin ont fait la rencontre avec Amalia, une neurodivergente qui nous a fait plonger tête la première dans le bassin étrange du monde des neuro-atypiques, le monde des baleines 52 hertz 

Le 2 avril a été décrété journée mondiale pour l’autisme par les Nations Unies. Pour ceux qui auraient manqué le rendez-vous avec les différentes manifestations qui avaient alors lieu à Genève autour du sujet (projections thématiques, course en bleu pour l’autisme, stands aux HUG), il était toujours possible de rattraper ses lacunes sur la question en assistant à la représentation du spectacle La baleine 52 hertz au Théâtre des Grottes ce week-end.  

Il y a baleine sous gravier 

C’est quoi cette histoire de baleine 52 hertz ? 52 hertz représente une fréquence spécifique d’une espèce de baleine incapable d’une communication heureuse avec les congénères de son espèce émettant une fréquence de 49 hertz (ce qui constitue la majorité de ces mammifères). L’incapacité de se lier à d’autres mysticètes à cause de cette divergence est, vous l’aurez compris, une métaphore aux difficultés communicationnelles rencontrées par les personnes porteuses d’autisme.  

Dans le rôle de la scientifique dingo, nous retrouvons Valentina Luporini, une Italienne dont le « cerveau » (joué par Cédric Schaerer) parle français, et qui introduit le spectacle comme une conférence scientifique ayant pour but de faire le portrait de la fameuse baleine atypique.  

Une question, qui sera le fil conducteur de cette pièce, déstabilise la jeune femme neuro-atypique : « est-ce que tu aimes voyager ? » 

Cette question, anodine pour tout un chacun, pose une série de dilemmes existentiels pour une personne neurodivergente (qu’est-ce que je vais manger en voyage, est-ce que j’ai envie de rencontrer de nouvelles personnes, quel sera mon emploi du temps ?). La réponse, typique d’une personne autiste à cette question et tant d’autres : « je ne sais pas ».  

Toute une panoplie de spécificités propres aux personnes autistes seront dévoilées durant le spectacle à travers plusieurs mises en situation entre Amalia et son cerveau (hypersensibilité au bruit, anxiété face à la surstimulation, cerveau qui disjoncte face à l’imprévu, besoin d’une routine), et la dysphonie entre le cerveau d’Amalia nous traduisant ses propos en français, parfois maladroitement, parfois à un rythme décalé, illustre avec humour les difficultés communicationnelles entre ce que le cerveau produit et la bouche finit par dire.  

Un vivier d’air frais malgré un sujet pesant  

Les deux acteurs (Valentina Luporini et Cédrid Schaerer) nous livrent avec drôlerie un portrait de cette neuro-atypie, et la métaphore de la baleine marginale illustre avec tendresse les accrocs de tous les jours rencontrés par ces personnes, qui ressemblent à vous et moi, mais dont le chant particulier les met à part, jusqu’au ban du reste de la poiscaille.  

La mise en scène est simple, sobre. Une table, un piano, un lapin en peluche, deux chaises, un tabouret. Lumières bleues tamisées pour rester dans la métaphore océanique. Le cerveau joue la mélodie, et Amalia « chante ».  

On appréciera cette « simplicité », autant dans la mise en scène que dans le texte, pour parler d’un sujet aussi scientifique que la biologie marine des autistes. 

Le spectateur redevient un enfant, et se love dans cette atmosphère douce et soyeuse.  

Un spectacle inclusif… mais qui crisse !  

Dans la salle, j’ai cru reconnaître parmi le public quelques individus concernés par la question.  

Ma voisine de devant notamment, venue avec mari et enfant, a éclaté en sanglots à plusieurs reprises, se reconnaissant sans doute dans le personnage d’Amalia. 

À ce propos, j’interroge le choix technique d’avoir monté à fond à plusieurs reprises le volume du son servant à illustrer l’état anxieux du personnage d’Amalia. Peut-être vaudrait-il mieux la prochaine fois préserver les oreilles éventuellement sensibles d’un public potentiellement concerné par la question ou même porteuse d’acouphènes afin de rendre l’expérience plus douce ? Une autre forme d’expression des angoisses du personnage principal aurait éventuellement été possible ?   

Le chant du monde 

Amalia conclut poétiquement que s’il existe des personnes pour qui le silence est plus important que la parole, c’est que ce monde a besoin de plus d’écoute les uns envers les autres.  

Les personnes atteintes d’autisme ne devraient pas être une espèce vouée à disparaître mais plutôt une source d’inspiration pour les personnes neurotypiques, fanas du bruit superflu.  

Si jadis, « autiste » était utilisé comme vile insulte au même titre que « trisomique » ou « handicapé » dans les cours d’école les plus sauvages, il s’avère que cette caractéristique n’est plus objet de moquerie, et au contraire, semble être devenu un diagnostic moins funeste grâce notamment à bon nombre de célébrités sorties du placard (Anthony Hopkins, Elon Musk, Greta Thunberg et on le soupçonne, Albert Einstein) et à ce genre de « conférence » vulgarisatrice. 

Ce spectacle est une goutte dans l’océan pour la reconnaissance de l’individualité et même les individualités des personnes porteuses d’autisme. Pour les laisser trouver leur place dans ce monde, peut-être devrions-nous apprendre à mieux tendre l’oreille et apprendre à nous taire.  

Apolonia M.-E 

Infos pratiques :  

La baleine 52 hertz, de la Compagnie Humagine, du 17 au 21 septembre 2025 au Théâtre des Grottes 

Mise en scène : Valentina Luporini et Cédric Schaerer 

Avec Valentina Luporini et Cédric Schaerer 

Photo : ©Le collectif Humagine  

 

Apolonia M.-E.

Apolonia M.-E est une écrivaine et journaliste suisse. Lettreuse produit de la cuvée post-covid de l’UNIGE, Apolonia écrit pour la rubrique théâtre, littérature, et occasionnellement pond un sujet de société. Sinon, elle tient une passion particulière pour les cochons (vivants) et les jolis chapeaux.

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