Le cri du cygne
Artiste et designer prolifique, Marvin M’Toumo nous présentait son Zizi Zozio au Théâtre de l’Usine dans le cadre de La Bâtie. Un spectacle percutant, qui agit sur tous les sens, dédié à un public averti.
Il ne faut pas s’attendre à être ménagé-es quand on assiste à Zizi Zozio. Le programme de La Bâtie était clair sur ce point, et avant que le public ne pénètre dans la salle, nous sommes avisé-es que nous pouvons sortir à n’importe quel moment du spectacle, et que les membres de l’équipe se tiennent près des portes si besoin. Une médiation sur comment recevoir des récits de violences sexuelles était prévue lors de la dernière représentation le 13 septembre, et des ressources sont mises à disposition dans le foyer du Théâtre de l’Usine.
En ayant ces éléments en tête, nous entrons dans la salle et nous installons sur les gradins, dans une atmosphère singulière, qui efface tout repère. Une mer de fumée au sol, des effets de lumières roses et bleus, et en arrière-scène, une étrange coquille qui pivote lentement sur elle-même. L’ambiance sonore, avec des bip, bip continus rappelant un bruit de machine, nous plonge encore plus dans cet univers de science-fiction.

Mais il ne sera pas ici question de science-fiction, il s’agira du récit autobiographique de Marvin M’Toumo. Ou plutôt, de ses récits, avec ses mondes intérieurs qu’il partage au public dans un geste cathartique. Il s’affiche dans une étrange monstruosité, dans ce costume incroyable : une coquille d’œuf recouverte de plumes blanches, dont ne sort qu’un visage, et des mains qui tiennent un livre, dans lequel est consignée son histoire.
Seule partie reconnaissable, son visage lui sert à exprimer les différentes émotions qui le traversent, parfois jusqu’à la folie. Son jeu est remarquable, il utilise son regard pour transpercer le public de son immense tristesse. Le ton monotone de la lecture est alterné soudainement par des cris, des glapissements ou encore des altérations de voix qui mettent en exergue certains passages, donnant la chair de poule.

Profondément marqué par son homosexualité qui lui a valu le rejet de son père dès son plus jeune âge, Marvin M’Toumo cherche à trouver une place au sein du nid familial, puis à prendre son envol. Il nous livre une poésie forte et poignante, où s’égrène une litanie de noms d’oiseaux et des métaphores. Mais au-delà de son récit personnel, la démarche du performer vise à « ouvrir une parole nécessaire », et « rendre visible l’invisible, de faire entendre ce qui reste dans les marges. »[1]. La dureté du propos et les différents effets scéniques tels que la fumée ou le volume sonore poussé, prennent aux tripes physiquement le public qui ne peut qu’avoir un aperçu de la souffrance contenue dans cette coquille.
Alors, dans un final alliant grotesque et sublime, nous assistons à la danse du cygne, dont les ailes battent encore malgré la douleur perceptible dans chacun des mouvements. Remué-es, on se souvient des mots de présentation et c’est l’occasion de trouver du soin, du care en collectif, comme partie prenante de la démarche artistique. Cette expérience poignante ouvre à la compassion et rappelle l’importance de la communauté.
Léa Crissaud
Infos pratiques :
Zizi Zozio, de Marvin M’Toumo, du 10 au 13 septembre 2025 au Théâtre de l’Usine, dans le cadre du festival de La Bâtie.
Imaginé, écrit, mise en scène, scénographié et costumé par Marvin M’Toumo
Avec Marvin M’Toumo
https://www.batie.ch/fr/programme/mtoumo-marvin-zizi-zozio
https://www.theatredelusine.ch/spectacle/zizi-zozio/
Photos : © Samara Krähenbühl
[1] Extraits tirés du livret du spectacle.
