Les réverbères : arts vivants

Le malaise du cirque de la vie

Avec Tadaaah!, la Cie Ex Aequo de Julia Botelho propose un spectacle étrange et difficile à définir, dans lequel les figures habituelles du cirque nous plongent dans un étrange malaise – comme un miroir de certains travers de notre société. C’est à voir au Théâtre de l’Orangerie.

Le plateau du Théâtre de l’Orangerie se transforme en piste de cirque : de la terre au sol, et tout autour des tissus jaunes et rouges, comme un chapiteau. Après le passage de Mme Loyale et ses cymbales, les numéros s’enchaînent : clown, mime, chevaux, princesse… La féérie et la drôlerie du spectacle circassien se montrent dans la première apparition de chacun·e des artistes. Mais bien vite, l’ambiance change : le malaise se fait sentir, l’innocence disparaît, alors que des rapports de force malsains semblent s’installer…

Perdre l’innocence

Le début de Tadaaah! s’avère plutôt drôle : le long silence précédent le coup de cymbales de Mme Loyale, les mouvements des chevaux effectués à quatre sur la piste, avec de longues perruques noires, où encore ce clown qui nous fait visiter sa maison, en anglais, en mélangeant sans arrêt les pièces. Même le mime, avec sa main qui ne fonctionne plus provoque les rires. On se rappelle les spectacles de notre enfance, avec cette dimension féérique, voire magique. Mais tout change après quelques numéros…

L’entrée d’un géant poilu, entre Chewbacca et un yéti, ou l’attitude d’abord maladroite du clown, qui finit par insister pour que les autres artistes restent dans sa maison, évoquent le harcèlement. On pense alors inévitablement à tout ce qui a été révélé avec le #metoo : un rôle en contrepartie de certaines faveurs. Rien n’est dit, mais tout est suggéré avec une grande économie de mots. Le summum de ce malaise est sans doute ce moment où une artiste est manipulée, littéralement, par les autres, telle une marionnette, pour la faire danser. Le tout après l’avoir forcée à changer de vêtements. L’innocence et la féérie du début se sont envolées.

Les dessous des rapports de pouvoir

À la sortie du spectacle, nous sommes perplexes, au point de nous demander ce qu’on nous a raconté. Alors, on relit la description de Tadaaah!, qui nous dit « Tadaaah! est un spectacle étonnant où le cirque et la réalité se mélangent dans un univers drôle et troublant […] où le spectaculaire cache parfois des vérités plus sombres. » On retrouve le côté drôle au début, comme nous l’avons évoqué. Quant au côté troublant, il prend largement le dessus. On s’interroge dès lors sur la symbolique de tout cela, ce que cela nous raconte, tant Tadaaah! est difficile à classer et à décrire.

On repense alors au choix du cirque, en réfléchissant à ce que cela implique. Le terme « cirque » renvoie autant au spectacle sous chapiteau qu’à une situation chaotique et désordonnée. Surtout, il y a une dimension hors normes, extraordinaire, où une grande place est laissée à l’exagération. L’occasion, donc, de pouvoir parler de certaines choses à grands renforts d’images. On pense aussi aux jeux du cirque antique, où la distraction offerte à la foule s’avérait souvent violente. On en conclut alors que le choix du cirque est le symbole idéal pour parler de milieux artistiques, qu’il s’agisse du cinéma ou des arts de la scène. Au vu du nombre de scandales qui émaillent ces milieux depuis quelques années, et toutes les affaires qui sortent au grand jour, on ne pense plus du tout à la dimension féérique. Tadaaah! nous dévoile ainsi tout ce qui se passe en coulisses, derrière les numéros, et que le public ne voit pas. Le monstre, qui paraissait d’abord rassurant, en sauvant l’artiste face au clown, enchaîne en lui enlevant sa perruque, illustrant le fait que rien n’est jamais acquis et safe dans les milieux artistiques. Cela nous raconte aussi que ce monstre est symbolique et qu’il peut aussi avoir une apparence tout à fait humaine. Des questions demeurent alors : qu’est-on prêt·e à accepter pour percer ? Et surtout, comment se jouent les rapports de pouvoir ?

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Tadaaah!, de la Cie Ex Aequo, les 30 et 31 juillet, puis 6 et 7 août 2025 au Théâtre de l’Orangerie.

Mise en scène : Julia Botelho

Avec Julia Botelho, Dolo Aurore Andaloro, Arlet Capella Margarit, Victor Delétraz, Judit Waeterschoot, Antoine Weil

https://theatreorangerie.ch/events/tadaaah

Photos : ©eden levi am

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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