Les réverbères : arts vivants

Le physique pour (se) dépasser

Au festival Weekend Prolongé à Fribourg, on a pu voir deux courtes formes proposées par des troupes émergentes. Danse et théâtre physique étaient au rendez-vous pour raconter le dépassement de soi ou la manière dont on peut tenter de passer au-delà de quelque chose qui nous bloque.  

Pour sa sixième édition, le festival Weekend Prolongé continue de donner leur chance à des artistes ayant un fort lien avec Fribourg et débutant leur carrière. Ils et elles peuvent ainsi montrer leur travail au public, à différent-es professionnel-les et se rencontrer, pour découvrir mutuellement leur création. De cette manière, les artistes entrent de plain-pied dans leur carrière, en ayant à disposition un encadrement adéquat, tout en créant une forme d’émulation autour de leurs créations. Ils et elles sont également sensibilisé-es aux enjeux de la création contemporaine en Suisse romande. Weekend Prolongé s’inscrit d’ailleurs dans le projet l’Oblique, qui réunit trois festivals, avec Fais comme chez toi à Sion et Qué Toi à Neuchâtel, où l’on pourra d’ailleurs retrouver les deux troupes dont nous vous parlons aujourd’hui. En réunissant ces trois festivals sous la même bannière, le projet permet une meilleure visibilité et une diffusion optimale, avec également la possibilité pour ces artistes émergent-es de présenter plusieurs fois leur spectacle, encore sous la forme d’étapes de travail, à différent-es publics et professionnel-les. L’Oblique assure également un encadrement plus large, en proposant des tables rondes, ou encore la publication d’un livret de présentation bilingue des artistes présent-es sur les festivals. 

Force mentale face aux émotions 

Nous avons d’abord pu assister à Encore mais En Corps, la performance du trio Collectif FÄZ, composé de Zoé De Reynier, Fanny Vaucher et Rosine Ponti (cette dernière remplaçant Maëlle Bordas, qui a créé le spectacle avec les deux autres). Tout commence comme si trois poupées de boîte à musique dansaient, coincées dans un mouvement qui ne change jamais. Une métaphore de la condition de leur personnage, dont elles tentent de sortir, mais font face à un blocage. C’est alors qu’une lumière arrive, de trois-quarts face, comme une porte de sortie, un espoir. Chacune tente de s’en approcher, dans un mouvement entre concurrence et soutien : comme si chacune voulait écarter l’autre du chemin, mais la soutenait quand elle se retrouve en difficulté. Le paradoxe est total, et illustre celui entre le blocage physique ou émotionnel et la force mentale nécessaire pour dépasser cette condition. Petit à petit, la musique semble également prendre le dessus sur les trois danseuses et les contrôler. Leurs corps se meuvent en pas de danse contemporaine, mêlée de diverses influences street-style. Elles tentent de lutter, mais la force musicale demeure supérieure. En témoigne cette dernière scène où, lorsque la musique s’arrête, leur souffle semble enfin leur revenir, comme si elles respiraient à nouveau. Un moment poétique, physique et émotionnel fort. Pour la suite, le collectif souhaiterait allonger cette forme, en approfondissant la réflexion, qui peut être explorée encore et encore. Avec une telle matière et les relations à creuser entre les trois personnages dansants, le potentiel semble être presque infini. Ou comment le corps et le mental peuvent s’opposer, ou s’allier, pour contribuer à se dépasser. 

« Intense, triste et beau » 

Le spectacle de Steeven Chakroun, AmouruomA, dans lequel il est accompagné sur scène de Zoe Notartomaso, commence avec lui seul, couché sur le dos. Il incarne un comédien qui répète un spectacle de marionnettes à mains. Disons plutôt que ses mains sont ses marionnettes. Il remet ainsi cette technique au goût du jour, en en cassant les codes, notamment sur la forme de la bouche, la séparation entre la tête le corps, ou encore la forme de chaque personnage, qui dévoile son état intérieur. De ce moment hilarant, on bascule rapidement sur quelque chose de plus sombre, avec son propre échec amoureux. Ses mains ne sont plus des personnages, mais différentes facettes de sa personnalité : celle, lucide, qui tente de s’en sortir, et l’autre qui ne parvient pas à passer à autre chose. La venue de son ex-copine (Zoe Notartomaso), pour récupérer ses affaires, agira comme déclencheur d’une réflexion plus profonde encore. 

Moins de texte, place au théâtre physique. Le corps raconte alors mieux que les mots. Zoe, ou Sarah dans la pièce, devient son double, littéralement – grâce à un masque créé pour l’occasion et aux mêmes vêtements. Tout en force et en souplesse, il et elle racontent les contradictions d’un homme amoureux, avec toute la complexité qu’entraîne son état intérieur : violence, mauvais schémas qui se répètent, mal qu’on peut faire malgré ou par amour… Rien ou presque n’est dit avec les mots, sauf dans un beau monologue de remise en question du personnage. Tout devient métaphorique, et on est subjugué par l’impression de fluidité qui se dégage et la beauté des mouvements corporels qui se dévoilent sous nos yeux. Pourtant, le propos sous-jacent n’a rien de beau et s’avère particulièrement violent. On regretterait presque que la partie chorégraphiée ne dure pas plus, tant elle est belle, mais si exigeante pour les comédien-nes. Quoiqu’il en soit, le titre prend tout son sens durant ce moment : AmouruomA, un nom en miroir pour une relation qui semble l’être aussi. Ou plutôt, la narration d’une relation d’un homme dont on ne sait plus trop s’il aime son ex pour ce qu’elle est, ou pour ce qu’il projette de lui sur elle. La remise en question, suggérée par le monologue et la chorégraphie, est totale. On en redemande. 

Fabien Imhof 

Infos pratiques : 

Encore mais En Corps, du collectif Fäz, suivi de AmouruomA, de Steeven Chakroun les 12 et 13 septembre au festival Weekend Prolongé, puis du 3 au 5 octobre au Qué Toi. 

https://weekendprolonge.ch/edition-2025/  

https://lepommier.ch/event/943-que-toi-festival/  

Photos : ©Weekend Prolongé (affiches) et ©Pauline Humbert (photos)

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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