Les réverbères : arts vivants

Le public sera au cœur des Méandres de Justine Ruchat

Projet poétique, où le public sera placé au centre de l’espace scénique, Méandres résulte d’interrogations qui se sont posées à Justine Ruchat, au fil de ses précédentes enquêtes. Elle souhaite proposer un spectacle ludique et bienveillant, pour une expérience nouvelle à voir au Galpon dès le 23 septembre prochain. 

Pour ce premier reportage de la saison au Galpon, nous découvrons la salle comme nous ne l’avons jamais vue : en pleine reconstruction, complètement modifiée par rapport au dispositif habituel. Et pour cause, dans Méandres, le public sera placé au centre de l’espace, alors que l’action se déroulera autour de lui. Trois écrans seront également disposés sur les murs, pour proposer une expérience inédite. Durant tout l’été, Justine Ruchat et toute l’équipe ont pu faire des essais dans la salle. La dimension poétique qui régit Méandres se centre autour de sept lieux de référence, qui se sont petit à petit imposés comme la scénographie du spectacle, ce qui n’était pas du tout prévu au départ. On retrouvera, par exemple, une plateforme, un tour, une face aux motifs rocailleux ou encore de l’eau. Mais nous n’en saurons pas beaucoup plus pour l’instant, tout étant encore en cours d’installation. Au plateau, Camille Lacroix, en charge de la vidéo et qui a également signé les visuels de la saison du Galpon, teste le placement des beamers. Quant à Renato Campora et Francesco Dell’Alba, ils placent les projecteurs et autres éléments constituant la lumière du spectacle. 

Un projet né de nœuds 

La réflexion conduisant à la création de Méandres vient au départ de questionnements autour de la vidéo. Après deux spectacles de théâtre documentaire, Justine Ruchat prend conscience qu’elle fait toujours face à des nœuds durant le processus de création, avec une interrogation autour du rapport entre documentaire, fiction et narration. Si le théâtre est par excellence le lieu de questionnement du réel, il y a toujours un parti pris, un regard qui oriente cette vision du réel. La vidéo l’a ainsi toujours intéressée, dans cette question du regard. Elle a donc suivi une formation autour du tournage de documentaire. À partir de là, Justine Ruchat s’est penchée sur les questions qu’on se pose en tournant un film : ce qu’on regarde, quel cadre on choisit, quel sujet on montre… Au départ, il y avait peut-être l’idée de créer deux formats différents, l’un scénique, et l’autre sur écran. Finalement, en imaginant le spectacle, elle s’est concentrée sur l’aspect ludique, en jouant sur les matières, à partir des images qu’elle a conservées, avec moins d’espace de douleurs que dans ses précédents spectacles. 

Méandres s’est donc construit, d’une certaine manière, comme un jeu. Pour ce faire, elle s’est inspirée des travaux de plusieurs auteurs, comme la Marelle de Julio Cortázar, qui peut se lire dans différents sens et peut prendre plusieurs formes ; ou encore Italo Calvino et, dans une moindre mesure, Borges. Ces auteurs partagent un rapport ludique à l’écriture, sans être tourmentés, ou en tout cas sans se définir ainsi. Le travail d’écriture de Justine Ruchat s’inspire donc de cela, avec l’ambition de décrire des sensations comme l’amitié, ou ce qu’on ressent face à la vitesse ou la multiplicité. Tout a donc commencé sous forme de jeu, sans forcément une véritable volonté que cela devienne un spectacle. Elle s’est beaucoup inspirée de photos de lieux, notamment celles de ses voyages en Colombie, en s’intéressant aux angles aux textures, pour interroger ce regard qui prend une place primordiale dans sa réflexion. Dans un geste artistique face à un monde complexe et dans une période difficile, elle a eu envie de partager, d’inviter le public à une expérience particulière. 

Superposer les réalités 

Durant la réflexion qui a mené au spectacle, le mot « Méandres » revenait beaucoup, à travers les rêvasseries, la manière de regarder et les nombreuses images parcourues par Justine Ruchat. Le choix de ce titre vient sans doute d’une photo prise près de Medellín, où l’on peut voir les méandres d’une rivière, comme une évidence du propos qu’elle veut développer. Dans son projet, Justine évoque la superposition et les réalités parallèles, qui coexistent malgré la distance temporelle ou spatiale : celle d’un lieu à travers le temps, ou de deux réalités complètement différentes au même instant T. 

De ce fait, elle a travaillé d’une part autour des images, avec Camille Lacroix, qui lui a proposé des montages de photos, avec des superpositions de texture à partir de ce que Justine lui a transmis ; d’autre part, elle s’est concentrée sur le texte. Les poèmes qu’on pourra entendre dans le spectacle vont être publiés aux Éditions des Sables, et n’avaient pas forcément vocation à faire partie du spectacle, mais en étaient plutôt une source d’inspiration. Finalement, on pourra en entendre quelques extraits. La création s’est donc faite d’abord à partir de ces deux éléments : images et textes écrits autour de la question du regard. 

Travail ludique avec les acteur/trices 

Les textes qui traversent le spectacle sont de natures différentes, entre moments dialogués et d’autres plus poétiques. Le travail avec les trois comédien-nes du spectacle – Clara Brancorsini, Francois Revaclier et Elise Perrin – s’est d’abord fait de manière rythmique, en travaillant sur les textures des voix, accompagné d’improvisations pour s’approprier l’espace. Dans la manière de travailler avec cette équipe, il y a une volonté de se dire que rien n’est trop sérieux, rien n’est grave. Sans minimiser la qualité du travail qui doit être accompli, il s’agit avant tout de reconnaître la chance qu’ils et elles ont de pouvoir exercer leur métier, d’avoir également autant de temps pour travailler, et de pouvoir jouer avec les différents éléments. Avec cette question, évidemment, autour de la perception qu’aura le public de Méandres, alors qu’il n’y a pas de véritable narration. Rassurez-vous, vous serez tout de même accompagné-es, en suivant une certaine logique dans l’organisation des tableaux qui constituent le spectacle. 

Il ne faut pas oublier, dans tout cela, les chants et la musique créés par Sylvain Fournier, qui jalonneront le spectacle pour poursuivre cet accompagnement. Il faut également réfléchir à l’équilibre à trouver dans la manière de transmettre ces textes poétiques au public : si c’est trop joué, les spectateur/trices pourraient percevoir un certain manque de liberté ; au contraire, si c’est trop incarné, le propos pourrait ne pas être reçu… L’idée est donc, à travers le texte et la manière de le transmettre, mais aussi par le dispositif, de mettre le public dans une situation où il perçoit les différents regards et peut être surpris. La convention scène-salle est complètement remise en question dans ce dispositif, changeant considérablement les habitudes des spectateur/trices, et l’idée est de jouer là-dessus. La question du regard sera donc aussi centrale pour le public, qui devra choisir ce qu’il veut regarder, sous quel angle, avec éventuellement la possibilité de se déplacer. Il sera donc actif, mais sans se trouver dans une position désagréable ou oppressante. Le but n’est donc pas de le piéger. 

Penser à tout 

Dans ce processus qui mêle de nombreux éléments, il faut tout coordonner : les calendriers de chacun-e, les réalités propres de tous les corps de métiers, comme des morceaux à mettre ensemble. C’est une logique de travail inédite pour Justine Ruchat, qui choisit de sortir des canevas classiques de la dramaturgie. Ici, pas de fable, de personnages ou de péripéties. Elle s’ouvre à d’autres possibilités artistiques, avec plusieurs portes d’entrées dans ses Méandres : échos des images et des voix, partitions tressées, reflets autour de l’eau, des jeux de transparence et de superposition des images. 

À la fin de notre rencontre, Justine Ruchat nous parle encore d’Andreï Tarkovski, qui l’a beaucoup inspirée. Elle a regardé tous ses films et lu tout ce qu’elle pouvait à son sujet. Dans les images qu’il construit, elle a été touchée par la petitesse de nos êtres face à quelque chose de plus grand, avec de nombreuses sensations différentes évoquées et transmises. Dans les films de Tarkovski, tout est travaillé : couleur, son, lumière… Chaque détail est pensé, réfléchi, habité. Tout cela fait aussi partie de son processus de création, avec également une réflexion sur les quatre éléments, que l’on retrouvera de différentes manières dans Méandres. À l’approche du spectacle, dans deux semaines au moment où nous la rencontrons, Justine ressent ainsi plus de plaisir que de panique, heureuse du temps qu’elle a eu à disposition pour créer, rechercher, et imaginer la scénographie en faisant de nombreux tests. Sa pensée s’est révélée devenir elle aussi Méandres, et on se réjouit de découvrir comment on va percevoir cette œuvre originale et si prometteuse. 

Fabien Imhof 

Infos pratiques : 

Méandres, de Justine Ruchat, du 23 septembre au 5 octobre 2025 au Théâtre du Galpon. 

Écriture, direction artistique, conception scénographie : Justine Ruchat 

Jeu : Clara Brancorsini, Francois Revaclier, Elise Perrin 

Vidéo : Camille Lacroix 

Costumes : Corina Pia 

Réalisation scénographie : Gordon Higginson 

Création sonore : Sylvain Fournier 

Création lumière : Francesco Dell’Elba 

Production déléguée : Laure Chapel – Pâquis production et Léonore Friedli 

https://galpon.ch/spectacle/meandres/ 

Photos : ©Justine Ruchat 

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *