L’histoire de la vie, c’est Dégueu ?
La Cie Mokett investit les murs d’Am Stram Gram pour une leçon déjantée adressée aux plus jeunes (et aux moins jeunes aussi) sur l’éducation sex… non, l’histoire de la vie ! Dégueu, c’est à voir jusqu’au 30 mars.
Sur scène, on retrouve tout d’abord deux artistes (Delphine Barut et Antoine Courvoisier) qui veulent faire jeune, avec leur rap et leurs baggy trop larges un peu ringard. Une fois leur spectacle terminé, Mme Delavie (Clea Eden), présente dans le public, les alpague. Elle qui doit se rendre dans toutes les classes du canton pour un cours d’histoire de la vie veut profiter d’en avoir plusieurs réunies pour donner son cours et faire « d’un coup plusieurs pierres ». C’est ainsi que commence sa conférence, autour du thème de départ de la reproduction. Mais c’est sans compter sur l’intervention d’Angelo (Angelo Dell’Aquila), cet enfant barbu « qui porte une casquette pour cacher [sa] calvitie », Charlotte Filou qui doit s’assurer que rien de « crado » ne soit abordé, et les deux artistes qui joueront les assitant·e·s de Mme Delavie. Le tout nous emmène dans l’univers de la Cie Mokett, pour expliquer et désamorcer les complexes.
Un univers déjanté
Comme toujours avec la Cie Mokett, il y a beaucoup d’énergie sur scène, et une grande économie de moyens. Ainsi, mis à part quelques rideaux blancs et l’apparition soudaine de Sabrina, cette boîte ressemblant à miroir, mais dotée d’une intelligence artificielle capable de répondre à toutes les demandes, rien d’autre ne figure sur la scène. On retrouve alors tout ce qu’on aime avec cette équipe : des personnages originaux et hauts en couleur, des costumes variés – on passe des baggy trop larges à des costumes d’hommes musclés (et nus), en passant par des ovules et spermatozoïdes – des chansons, qu’elles soient créées pour l’occasion ou revisitant des grands classiques…
On n’oubliera pas de citer les jeux de mots foireux et hilarants dont Antoine Courvoisier, qui signe le texte du spectacle, a le secret ! Et comment ne pas parler des références adressées aux moins jeunes du public – dont je fais évidemment, pour une fois, partie – qui émaillent l’ensemble du spectacle. Surtout, pour englober tout cela, on soulignera la belle complicité qui règne entre les membres de la troupe. Ils et elles ont du plaisir à jouer ensemble, et cela se ressent, même auprès des ados qui constituaient le public de la scolaire à laquelle j’ai assisté.
Pas de tabou
Le ton est donné d’emblée : il n’y a aucune gêne à avoir. Pourtant, le sujet est délicat, surtout quand on s’adresse à des enfants de 9 à 12 ans, voire de 14 pour certaines représentations. Entre l’âge visé et l’âge réel des spectateur·ice·s, il faut aussi savoir jauger. On notera que les parents et enseignant·e·s ne sont pas mécontent·e·s d’avoir l’occasion d’assister à un tel spectacle : les thématiques abordées peuvent être compliquées à évoquer à la maison ou en classe, et passer par le prisme du théâtre peut avoir de nombreux bienfaits. C’est d’ailleurs le tour de force que réalise la Cie Mokett : aborder différents aspects liés à la sexualité – parce que oui, c’est bien de ça dont parle l’histoire de la vie. La troupe parvient ainsi à parler, en partant du prétexte de la reproduction, du plaisir, du consentement, mais aussi de l’amour, des complexes et de l’acceptation de son corps, entre autres. Autant de sujets qui trottent inévitablement dans la tête au début, puis durant toute l’adolescence.
Le tour de force de la Cie Mokett, donc, est parvenir à aborder tout cela sans tomber ni dans le graveleux, ni dans le pathos ou autres clichés. Surtout, rien ne met mal à l’aise dans Dégueu ! Le texte s’appuie ainsi sur des conceptions connues, comme la cigogne ou Adam et Eve, pour les démystifier et, pourquoi pas, apprendre certaines choses aux jeunes oreilles présentes dans la salle. Plus que la dimension pédagogique, c’est avant tout le côté ludique que nous retiendrons de ce spectacle. Antoine, Delphine, Clea, Charlotte et Anglo s’amusent avec ces différents sujets, pour montrer qu’ils ne sont pas si tabous qu’on le croit. En tout cas, il n’y a pas de gêne à avoir : c’est normal d’y penser, de se questionner, de complexer parfois aussi. Mais le message que nous transmet la Cie Mokett, avec beaucoup d’humour, c’est qu’il faut en parler si on en a envie, si on en ressent le besoin, sans pression, sans honte à voir. Et ça, c’est un bien joli message !
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Dégueu, de la Cie Mokett, texte d’Antoine Courvoisier, du 14 au 30 mars 2025 au Théâtre Am Stram Gram.
Mise en scène collective, chapeautée par Antoine Courvoisier
Avec Delphine Barut, Antoine Courvoisier, Angelo Dell’Aquila, Clea Eden et Charlotte Filou
https://www.amstramgram.ch/fr/programme/degueu
Photos : ©Ariane Catton Balabeau