Les réverbères : arts vivants

L’impossible carrière…

…d’un groupe de rock impossible ! Clémence et Camille de Yan Walther – par la Compagnie des Autres – Théâtre du Pommier jusqu’au 18 septembre 2025.

Paul Watzlawick, dans son livre : La réalité de la réalité, mettait en évidence que la réalité n’était que la résultante de tous nos horizons indépassables. La découverte du groupe de musique rock des années septante : Les Shaggs, déplace d’un coup l’entier de ces derniers. Ébahis, à l’écoute de leur musique, on oscille entre le foutage de g… ou  génie de l’art brut !

Les Shaggs. Né d’une prédiction, cet authentique groupe de rock américain, constitué de trois frangines, aussi douées pour la musique qu’un poisson pour plucher un légume, devient un objet rock stupéfiant issu d’un autre monde. Répétitions besogneuses, concerts affligeants, prestations confidentielles, ce groupe improbable deviendra pas moins un sujet d’étude fascinant.

Yan Walther l’auteur du texte, sur une suggestion des deux comédiennes – d’ailleurs sœurs à la ville, s’est emparé du sujet. On pourrait réduire son l’écriture à sa dimension historique, cependant, il place intelligemment ses personnages dans des situations que chacun peut s’approprier et il passe le sujet au crible d’une observation méticuleuse. Il nous livre une réalité scrupuleusement authentique, qui participe à la découverte d’un quotidien corrodé et ordinaire, voir sordide. De là provient peut-être un texte linéaire pour des vies somme toute sans relief.

Cette copie nous montre deux sœurs liées par la volonté du père, lui-même lié à une prédiction de sa mère : Tes filles monteront un groupe de rock et deviendront célèbres ! Les deux personnages dont les coupes de cheveux et les costumes forcent un trait gémellaire, qui va jusqu’à entremêlement de leur prénom. Des noms de personnages dès lors troubles, un peu comme un texte mal imprimé pour une situation claire par elle-même. Le public saisit l’aspect sororal de la situation.

Le décor est tout de blanc et à niveaux divers, inspiré des modèles d’Appia et à son plus haut niveau, une masse informe qui laisse deviner ce que chacun avait compris : des instruments de musique. Dommage que les questions : « pourquoi et comment » aient été délaissés au profit du « quoi » si évident.

Les comédiennes Clémence et Camille Mermet présentent un spectacle sans grand ressort dramatique. Encore une fois, est-ce que la vie de ces petites gens en possède vraiment ? Elles nous montrent sous le masque de l’harmonie, avec douceur et détachement, une famille à l’équilibre flageolant et froid gouverné par l’autorité, la peur et l’obéissance ; c’est du Milgram[1] chimiquement pur. Leurs jeux sensibles nous font part d’un état des lieux où les tentatives de ruptures sont d’une petitesse de victimes et leurs vérités proclamées se présentent avec une pâleur maladive. Alors, pour s’en sortir, les deux personnages se collent l’une à l’autre, obéissent et se hissent sur une scène de concert. La prestation du groupe est affligeante et l’on se surprend à se parer du rire moqueur, rapidement dissimulé par la honte de l’avoir fait. Une double sensation qui pousse le public dans la profondeur de l’histoire. C’est bien vu et bien projeté.

Le drame ne survient pas. Pas de climax dans ce naturalisme grinçant. Juste une interminable soumission qui ne trouvera de solution que dans la mort du père. Ainsi le ruban de Moebius – image du quotidien, évoquée dans le prologue est déchiré.

La mise en scène se place sous une voûte de cave qui offre beaucoup plus de pittoresque que d’espace. Dès lors, il y a d’intéressants placements, déplacements et jeux de scène, le tout malheureusement ceinturé par l’imposante masse du décor. Le reflet de l’exiguïté de ces deux vies est partout, mais cela, le public l’avait compris.

Grâce à la complicité des deux sœurs à la scène comme à la ville, ce spectacle pittoresque et réaliste devient un moment dramatique émouvant.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Clémence et Camille de Yan Walter, par la Compagnie des Autres, au Théâtre du Pommier, du 10 au 18 septembre 2025

https://lepommier.ch/event/873-clemence-et-camille

Mise en scène : Alain Borek

Avec : Clémence et Camille Mermet

Photo : ©Muriel Antille

[1] L’expérience de Milgram est une étude de psychologie sociale qui a pour but d’étudier le comportement humain face à l’autorité et la soumission à celle-ci.

Jacques Sallin

Formé à l'université de la ferme et à l'atelier du Victoria Hall, c'est avec cette double culture qu’il s'approprie le monde. Il tenté de conjuguer les choses en signant des textes et des mises en scènes. La main, le geste, la phrase, le mot, c'est pour lui toute l'intelligence de la scène.

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