Les réverbères : arts vivants

L’impro… ça ne s’improvise pas !

Ce vendredi 7 novembre, dans le cadre d’Improoo, le festival du long format improvisé, au  douze dix-huit, la Compagnie Slalom a convié son public à une aventure théâtrale  plutôt inhabituelle et jubilatoire, à savoir improviser une pièce de théâtre « façon Molière ». 

Le Molière improvisé est le premier spectacle de la compagnie Slalom, créé en 2013, au Théâtre des Trois-Quarts à Vevey. Les comédien-nes improvisateur/trices relèvent le défi de créer, à chaque représentation, une nouvelle comédie « à la manière de Molière », entre satire, quiproquos et génie comique. 

Alors que vous prenez place, un membre de la troupe vous remet une grande feuille sur laquelle figurent une liste de caractères qui appartiennent au Théâtre de Molière : maître de chant, Grand Vizir, prétendant, etc. ; plus loin une liste de liens comme amant, mari, père ; puis une liste d’adjectifs tels que coléreux, bavard, naïf… Trois personnes du public sont appelées à choisir un élément dans chaque liste. C’est sur cette base que prendra forme la pièce. 

Trois des quatre comédien-nes se retirent alors un bref instant, laissant le quatrième faire un boniment, pour former une trame suffisamment solide pour y tisser le début d’une histoire, mais suffisamment souple pour leur permettre d’avancer en prenant toutes les libertés que l’improvisation leur offre. 

Et c’est parti pour quatre-vingts minutes. Dans un langage moliéresque, duquel on les sent aguerris, ils entament l’histoire d’un jeune homme/fille (ce n’est pas toujours très clair…! ) délaissé-e par un amant logorrhéique qui, à chaque fois qu’il se met en marche pour lui rendre visite, croise une personne, puis une autre avec qui il bavarde sans fin, pour finir par oublier son but premier, celui d’aller à son rendez-vous amoureux. Ainsi, c’est naturellement un deuxième prétendant qui fait irruption. Il est conquis, transi, dévoué corps et âme, suspendu à ses yeux et déverse sur l’objet de ses désirs un amour mou, sucré et dégoulinant qui répugne sa bien-aimée. Un suivant, une sorte de Sganarelle au visage taillé à la hache, ricane, suggère, assène des vérités et quelques impertinences. Le jeu est caricatural et suggère les masques de la commedia dell’arte dont Molière s’est inspiré parfois pour ses personnages.  Subitement, entre en scène un grand vizir dans un accoutrement hilarant et l’histoire prend un grand virage. Branle-bas de combat, il faut assurer, trouver les répliques, être attentif à un geste, une parole, trouver une répartie et en même temps anticiper les réactions possibles de ses partenaires. On se demande dans ces moments, combien de synapses à la seconde produit le cerveau, tant il faut analyser et comprendre la situation rapidement. 

Si vous ne savez pas où l’histoire vous conduit, eux non plus ! Mais leur esprit, leur humour et leur complicité font merveille. Comme des chats, ils retombent sur leurs pattes, donnant à l’histoire un nouveau tournant. Le spectateur, lui, est comme dans ces petites voitures du train fantôme dont on ne sait quelle direction elles vont prendre et propulsent votre corps à droite ou à gauche laissant votre tête suivre docilement, sauf qu’ici ces changements de direction inopinés ne donnent pas lieu à des cris de frayeur, mais à des éclats de rire. Ce à quoi on assiste est étrangement familier ou familièrement étrange. On ne connait pas cette pièce de Molière et pourtant on croit la reconnaitre. Ce n’est toutefois qu’une illusion, puisque tout est inventé de toute pièce sous nos yeux, et qu’aucune des répliques n’est empruntée aux textes de Molière.  

Assister à une pièce de théâtre qui se crée sous vos yeux, avec son lot de rebondissements, de péripéties et d’invraisemblances parfois, est proprement hilarant. Ces comédien-nes-improvisateur/trices maîtrisent le répertoire du Maître et osent ainsi, au fil des représentations, provoquer la rencontre inopinée d’un Avare et d’un Turc, de Sganarelle et d’une Précieuse ou, qui sait, peut-être la rencontre du Misanthrope et de Tartuffe créant des pièces et des moments uniques. 

L’exercice auquel se livre la Compagnie Slalom est périlleux. Il nécessite de nombreux talents dont celui de la répartie. On devine les heures de travail qui se cachent derrière une telle performance et on salue cette nouvelle façon d’approcher un auteur classique.  

Un hommage décalé mais respectueux de notre cher Molière qui, au cours des siècles, n’a pas pris une ride. 

Katia Baltera 

Infos pratiques : 

Le Molière improvisé, création collective de la Compagnie Slalom dans le cadre de  Improoo, le festival du long format improvisé du 7 au 10 novembre 2025, au douze dix-huit 

Avec Paul Berrocal, Alain Ghiringhelli, Adrien Mani et Matteo Prandi 

https://ledouzedixhuit.ch/spectacle/improoo/  

Photos : ©Serge Mion

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