Poésie souterraine
Après plusieurs performances dans l’espace public et des spectacles jeune public, le collectif du Feu de dieu proposait en janvier et février derniers, sur le plateau de la Parfumerie, avec Stratégies Souterraines, une plongée dans les mouvements de l’absurdité camusienne.
Des langages
Stratégies Souterraines est un projet pluridisciplinaire, la rencontre des langages de chacune des deux artistes à la conception et au plateau, à savoir une comédienne, danseuse, clown (Violeta Hodgers) et une danseuse contemporaine (Ambre Pini). Et bien loin de créer une incompréhension, le mélange des disciplines, dans un équilibre subtil, participe à la création d’un langage commun, d’une nouvelle expressivité, ou chacune semble élargir, avec une certaine curiosité, parfois même une naïveté presque enfantine, son univers expressif au contact de l’autre. Explorant à la fois la simultanéité et les forces contraires, le mouvement ne peut émerger que dans l’équilibre de ces deux entités, à l’image de la scène inaugurale, d’une grande beauté. Les deux corps mêlés, dans un mouvement lent et circulaire, à peine perceptible, naissent au monde, dans la pénombre, en quittant une unité originelle pour se révéler deux et uniques, à la fois antagonistes et complices.
L’absurdité comme point de départ
Cette première image, tout en se suffisant à elle-même, renvoie peut-être également à la citation de Camus dans Le Mythe de Sisyphe : « L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». L’ensemble de la pièce est, en effet, construit au travers de la pensée camusienne, plus joyeuse que d’autres philosophies de l’absurde, car porteuse d’espoir et d’une possibilité de bonheur. On pourrait presque reconnaître aussi le duo beckettien d’En attendant Godot. Ce que les deux personnages attendent, ici, c’est le sens de tout cela, mais celui-ci existe-t-il ? Peut-être faudra-t-il le créer ? Ou alors simplement faire avec ce manque ? L’exploration de l’absurde passe par plusieurs mouvements, allant de la joie au désespoir, que l’on retrouve inscrits dans les corps des artistes, pour un ensemble tragi-comique. L’absurdité vient soulever en nous des mouvements souterrains enfouis, des angoisses, mais suscite également le rire, véritable lien entre le plateau et le public. Le spectacle ne fait pas de détour et aborde également la question de la mort, centrale dans la pensée du philosophe. L’ensemble de la pièce est une belle entrée en matière dans la philosophie de l’absurde, le point de départ d’une possible curiosité. Tandis que face au silence du monde, et au manque de sens, l’espace se remplit de tentatives, et les corps se mettent en mouvement.
De la craie et de la légèreté
La scénographie participe également, de manière très forte, à l’idée d’absurdité. Sur le sol nu, en poudre de craie, est tracé un cercle, figure sans début ni fin. L’espace permet au mouvement perpétuel de se déployer, un espace qui n’a pas de sens, où tout n’est que commencement, répétition, du moins en apparence. Face à l’élément Terre se trouve, suspendu au-dessus du plateau, un immense mobile (Mathilde Tinturier), aérien, en mouvement, délicat, fragile mais également imposant. Tout au long du spectacle, on est fasciné·e par sa richesse, sa beauté, et sa poésie, bousculant nos perceptions, par ses mouvements : on ne sait plus qui tourne. La craie utilisée offre une scénographie en déploiement, chaque geste, chaque pas laisse sur le sol une trace, une histoire qui s’écrit, une possibilité, peut-être, d’aller contre, ou avec, l’absurdité.
Ce spectacle, en dehors du temps et de l’espace, nous offre une première réponse au non-sens : la poésie et le rire.
Charlotte Curchod
Infos pratiques :
Stratégies Souterraines, d’Ambre Pini et Violeta Hodgers, du 21 janvier au 2 février 2025, au Théâtre de la Parfumerie.
Mise en scène : Ambre Pini, Violeta Hodgers
Accompagnement artistique : Sara Uslu
Avec Ambre Pini, Violeta Hodgers
Photos : ©Magali Dougados