Retrouver le chaos fondateur et renaître au monde
Sur les planches du Galpon, Pascal Gravat retrouve les traces de son enfance, grâce à un procédé d’écriture automatique, sublimée par des gestes chorégraphiques, pour reprendre contact avec cet autre qu’il était.
Tout commence dans le noir de la scène, avec une musique qui résonne. Est-elle inquiétante ? Rappelle-t-elle la bande originale d’un film ? Quoiqu’elle évoque, une part de mystère s’en dégage. Une lumière jaune se fait alors, petit à petit, à cour. Le corps de Pascal Gravat se dessine dans la pénombre, et avec lui les bribes de son passé. Il se rappelle l’enfance, ce sirop que sa mère lui donnait pour l’aider à dormir. L’écriture fragmentée de Je suis accompagnée fait qu’on ne comprend pas tout, tout de suite. Les éléments nous parviennent ainsi petit à petit, pour que le puzzle se reconstruise…
Trip hors de soi
Dans Je suis accompagnée, Pascal Gravat n’est donc jamais seul. Des figures fantomatiques et énigmatiques, spectres du passé l’accompagne, sans qu’on ne soit jamais certain de ce qu’elles représentent. Les images sont à interpréter, à travers le voyage dans son intimité qu’il nous propose. Nous entrons alors, nous spectateur·ice·s, en empathie avec lui. Nous rencontrons ce qui s’apparente à un genre d’ange de la mort, masqué, avec deux yeux lumineux et des ailes sombres. Puis, se détachant du corps de Pascal Gravat, projeté sur le tulle qui trône tout à coup au centre de l’espace scénique, son double. Ce dernier apparaît plus sage, plus expérimenté, comme une forme de guide qui l’aide à avancer… ces entités demeurent mystérieuses, flottantes, comme une forme d’expérience.
Jusqu’à ce qu’apparaisse celle qui représente sa mère, en chair et en os, interprétée par Julia Batinova. Elle reprend des mots prononcés un peu plus tôt par le danseur-comédien, comme pour nous faire comprendre ces réminiscences du passé qui arrivaient par bribes jusqu’ici. Le voyage intérieur prend alors une autre tournure. Aurait-il regoûté au sirop de son enfance, qui l’aiderait à entrer dans les mêmes états que ceux de son passé ? On a en tout cas l’impression qu’il entre dans une forme de trip, à la rencontre de ces fantômes, pour comprendre, interroger, pouvoir dépasser ces souvenirs et s’en libérer.
Récit corporel et imagé
Les mots fragmentés de Pascal Gravat sont complétés par un impressionnant travail du corps. Il est avant tout un danseur et cela se ressent. Son corps raconte aussi, plus encore que les mots. On pense surtout à son dernier solo, où les mouvements semblent désormais libérés, plus fluides, comme délivrés d’une contrainte qui pesait jusqu’alors. Les derniers mots du spectacle en disent d’ailleurs long : « J’accélère », s’exclame-t-il avant le noir final.
Le tout s’accompagne de musiques qui donnent une autre teneur au spectacle, mystérieuse comme au début, ou légère à la fin, avec ce Horse with no name qui résonne. Le jeu entre lumière et pénombre, mettant l’accent tantôt sur le corps, tantôt sur l’espace scénique, apporte une dimension visuelle qui complète enfin les bribes du récit. Les projections sur le tulle central sont magnifique, créant une distance vers un univers plus onirique. Tous les éléments deviennent alors indissociables et contribuent à ce trip dans lequel Pascal Gravat nous emmène durant environ 50 minutes. Un spectacle réflexif, intime, mystique, intimiste, dans le souvenir et ses bribes. On a alors envie, nous aussi, de nous plonger dans les nôtres pour redécouvrir certaines choses…
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Je suis accompagnée, de Pascal Gravat et la Cie Revolver, du 3 au 13 avril 2025 au Théâtre du Galpon.
Création et interprétation : Pascal Gravat
Images et musique : Pierce Warnecke
Création sonore : Clive Jenkins
Collaboration à la dramaturgie et interprétation : Julia Batinova
Lumière : Jean-Marc Tinguely
Scénographie : Collectif 5m.50
Collaborateur : Pierre Alexandre Lampert
Administratrice et chargée de production : Anahide Ohannessian
https://galpon.ch/spectacle/je-suis-accompagnee/
Photo : ©Jean-Michel Etchemaïté