Rouge sang, Rouge vif !
Le 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, devant le Palais de Justice, un cri. Le chœur sororal des Rouges Putes, dans le cadre du Festival Les Créatives, a fait entendre la poésie furieuse de l’autrice Perrine Le Querrec, afin d’honorer les mortes et de célébrer les survivantes.
« Entièrement plumée, ailes mutilées, bec cloué[1] »
En 2019, Antea Tomicic, travaille sur un cycle autour de l’écriture de la résistance en étroite collaboration avec Lydia Lunch, et avec un focus sur trois autrices contemporaines : Sarah Kane, Chloé Delaume et Perrine Le Querrec. Elle invite cette dernière à collaborer avec l’association genevoise AVVEC qui vient en aide aux femmes victimes de violences. Naît un recueil incisif et bouleversant : Les Alouettes. 6 femmes. 6 volontaires. 6 rescapées, confient à l’autrice leur enfer quotidien. Perrine réécrit, cherche les mots, pour exprimer l’indicible, libérer la parole de toutes ces femmes muselées : « C’est entendre : La force de ces femmes […] C’est dire : Les années suivantes. Longues années de reconstruction […] C’est écrire : Ce sont les victimes qui détiennent le savoir et c’est par elles seules qu’il est possible d’y accéder, pour le mettre en mots et le restituer. L’évènement de la parole : dire, que cela soit entendu, et enfin penser à une autre vie, passer à une nouvelle vie[2]. » Auparavant, lors d’une résidence à Louviers, Perrine avait écrit Rouge Pute, ouvrage important, livre de référence en matière de combat contre la silenciation des victimes de violences conjugales : au cœur de la Villa Calderon, Perrine a écouté, recueilli, les témoignages de 9 héroïnes, et composé à partir de leurs paroles, des poèmes d’une justesse impitoyable, sans jamais tomber dans la romantisation ou l’esthétisme, sans rien cacher, ni passer sous silence.

Des voix face au silence institutionnel
Suite à la parution en 2022 Des Alouettes, réunissant au Rameau d’or, Perrine, les survivantes et le public, l’idée a germé de faire un happening : leurs voix doivent résonner bien au-delà du livre, dans les murs de la cité. Antea Tomicic, avec le regard de Magdalena Karpinski, réunit un chœur de femmes. Une à une et ensemble, elles occupent l’espace urbain pour faire entendre les voix trop souvent tues, et pour honorer celles qui ne peuvent plus parler. Il ne s’agit pas d’une lecture, mais d’un acte politique, d’un acte de mémoire, d’un acte de résistance, accompagnés et soutenus également par Andrea Muluk pour le son, et Sophie Le Meillour à la vidéo et au mapping enflammé. Une première occupation de l’espace public a eu lieu devant le mur des Réformateurs en 2022, mais cette année, et pour la deuxième fois consécutive, elles se tiennent, place du Bourg-de-Four, sur les marches du Palais de Justice. L’image est forte et les revendications claires : notamment une meilleure prise en charge des victimes et un changement des lois : par exemple, à ce jour le terme féminicide, un meurtre lié au genre, des femmes tuées parce qu’elles sont femmes, n’est toujours pas un terme politique reconnu. Rappelons que l’utilisation du terme féminicide a été rejetée par le Conseil des États en 2020. Les décomptes féminicidaires sont effectués uniquement par le travail précieux des militante-x-s féministe-x-s. Les avancées juridiques et institutionnelles restent largement en deçà de l’urgence et de la gravité de la situation, comme nous le rappelle Antea dans son discours introductif : l’heure n’est plus à l’alerte mais à l’action politique immédiate et radicale. En novembre 2025, le constat est insoutenable : 28 féminicides sur le territoire suisse, soit une femme tuée toutes les deux semaines. Et chaque semaine, une femme survit à une tentative de féminicide. Sans compter tous les cas restés non-signalés ou inconnus. Il ne s’agit pas de drame familial, il ne s’agit pas de crime passionnel, il est question de violence structurelle !
Tant que la peur sera là, elles seront là, lumineuses et puissantes, à faire entendre l’insoutenable, pour honorer les mortes et célébrer les survivantes, et nous rappeler la fonction vitale de l’art contre l’effacement et l’oubli.
« Pour certains c’est la colombe blanche
La liberté
Pour moi c’est Rouge Pute
Ma liberté
Du rouge à lèvres, du rouge voyant, du rouge-tu
me-vois?
Du rouge-c’est-moi »[3]
Charlotte Curchod
Infos pratiques :
Rouges Putes, d’après les recueils Rouge Pute et Les Alouettes de Perrine Le Querrec, une proposition d’Antea Tomicic avec le regard de Magdalena Karpinski, le 25 novembre 2025, Festival les Créatives.
Avec un chœur de femmes
Mapping : Sophie Le Meillour
Technique et son : Andrea Muluk

https://lescreatives.ch/evenement/les-rouges-putes/
https://www.avvec.ch/fr/aide/adresses-utiles
Photos : ©Isabelle Meister (banner) et ©Sophie Le Meillour (photos dans l’article)
Logo : Kons&Lex
[1] Perrine Le Querrec, Les Alouettes, Les Editions d’en bas, 2022
[2] Préface du recueil Les Alouettes, Perrine le Querrec.
[3] Rouge Pute, Perrine Le Querrec, La Sentinelle, 2020. (Grand format), La contre allée, 2024.
