Soyons des moutons !
Au festival far° à Nyon, qui continue jusqu’au 16 août 2025, nous avons expérimenté ce vendredi 8 août de Faire troupeau avec Marion Thomas. La comédienne nous propose un spectacle intelligent, pertinent, et qui réussit à nous faire passer un bon moment, ensemble.
Quand on entre dans la salle communale de Nyon, un grand écran est posé au sol en fond de scène et des buissons en carton-pâte parsèment le plateau. L’écran s’allume, texte blanc sur fond noir, et commence à interagir avec l’audience avec des phrases courtes et des questions rhétoriques. D’abord des réflexions sur la notion de public, qui pourrait se résumer par le fait d’être un groupe, et d’être rassemblé-es par des émotions communes à un moment donné, en partageant une même interaction. C’est donc nous, les publics.
Toujours par ce même procédé, Marion Thomas, que nous n’avons toujours pas vue, nous révèle sa passion pour les moutons. Nous apprenons que ce sont des animaux très empathiques, qu’ils peuvent reconnaître même après plusieurs années un membre du troupeau. Cela s’explique par le fait que le troupeau est le seul moyen de défense de cet animal de pâturage, proie potentielle des prédateurs. Nous découvrons également que les moutons ne rejettent jamais un nouveau membre, après une habituation à l’odeur, le ou la nouvel-le arrivant-e est intégré-e au troupeau. Marion Thomas apparaît à ce moment-là sur le plateau, à grand renfort de déodorant pour nous habituer à sa présence. Elle nous apprivoise petit à petit, en se rapprochant lentement et adoptant des postures pour gagner la sympathie du troupeau en face, nous.

C’est chose faite quand elle commence à se livrer sur sa claustrophobie, et son grand intérêt pour les films catastrophe. D’ailleurs, pour illustrer son propos sur le troupeau, elle nous propose de vivre une expérience catastrophique ensemble, pour souder les liens du troupeau, qui se révèlent dans les situations les plus extrêmes. Elle nous embarque donc dans un scénario à la Armageddon, où Nyon est sujet à un immense tremblement de terre qui creuse une faille dans la terre, et dans lequel elle interprète Bruce Wallas, l’homme de la situation, qui vient à la rescousse du public piégé dans les décombres de la salle communale.
Cette parodie hilarante du genre cinématographique met en lumière les clichés mais surtout les incohérences présentes dans ce style de film. Marion Thomas relève d’ailleurs que l’homme de la situation n’est jamais une femme libanaise de 65 ans, par exemple. Elle nous expose ensuite des vraies catastrophes naturelles, et les réactions des gens dans la vraie vie dans ces moments de crise. En s’appuyant sur les recherches menées par les sociologues du désastre, une unité de recherche située dans le Delaware qui interrogent les survivants de catastrophes climatiques ou d’attentats, elle nous démontre que les réactions collectives n’ont rien à voir avec l’individualisme et le sauvetage de la famille nucléaire montré dans les films américains. Les recherches concluent que les premières réactions relèvent en réalité de l’entraide, de la solidarité, et de l’organisation pour venir au secours de celles et ceux qui en ont besoin. Bien moins cinématographiques, les premières actions collectives sont souvent des réunions.
Marion Thomas rappelle également le traitement médiatique qui est fait de ces situations, qui impacte notre vision du groupe. Elle prend l’exemple de l’ouragan Katrina survenu à la Nouvelle-Orléans en 2005. Les journaux télévisés, sans avoir accès aux zones sinistrées, parlaient de pillage, de meurtres, de gangs, de viols dans les camps de fortune. Les témoins sur place racontent plutôt les repas, l’intelligence collective qui se met en route, et preuve en est que sur les 20 000 personnes réfugiées au Superdome, seules 4 personnes sont décédées suite à l’absence de soins.

Marion Thomas nous conduit de manière bien pensée à nous interroger sur comment faire société et sur ce qui nous fait dépasser les frontières de notre individualisme. Elle use de procédés inventifs pour rendre apparent ce fil émotionnel invisible qui relie les membres du public entre eux, par exemple, en filmant en live le public sur l’écran, entouré de petits cœurs. Elle encourage à faire troupeau, ce qu’elle définit comme la sensation joyeuse d’être porté-e par le groupe, comme durant les manifestations ou les concerts, et à retrouver cet instinct grégaire positif, si souvent dénigré en politique. Et à se livrer à des activités qui rassemblent, comme pourquoi pas, un karaoké ?
Léa Crissaud
Infos pratiques
Faire troupeau, de Marion Thomas les 7 et 8 août 2025 dans le cadre du festival far° à Nyon, qui se déroule du 7 au 16 août 2025.
Mise en scène : Marion Thomas
Collaboration artistique, création sonore : Maxime Devige
Avec Marion Thomas
La programmation complète du far° est à retrouver en ligne sur https://far-nyon.ch
Le far° festival et fabrique des arts vivants, est reconnu depuis 40 ans pour son festival ayant lieu chaque été à Nyon au mois d’août. Ce temps fort culturel et artistique a pour ambition de présenter et valoriser les projets d’artistes issu·e·x·s de la scène contemporaine des arts vivants, de Suisse et d’ailleurs. Les publics peuvent ainsi y voir des œuvres de cirque, de danse, des propositions théâtrales, des performances, des expositions ou des concerts en plein air tout en participant à des moments collectifs d’échange comme des workshops, rencontres, ateliers ou encore des débats.
Photos : © Maxime Devige
