Les réverbères : arts vivants

« Tu seras viril, mon kid »

La chanson d’Eddy de Pretto pourrait en être l’hymne : drôle et percutant, le seul-en-scène de Mickaël Délis, Le premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité, questionne les injonctions faites au genre masculin, quand les garçons sont en plein développement. Au plateau, il présente toute une galerie de personnages qui l’ont influencé au cours de sa vie. 

  

Seul au milieu de la grande scène trône un tabouret, qui sera l’unique accessoire de Mickaël Délis. Non, ce n’est pas tout à fait vrai, car le comédien arbore aussi un grand chemisier, qu’il transforme à l’envi en écharpe ou en blouse de médecin, selon le personnage qu’il choisit d’incarner. Une fois le public assis, Mickaël Délis prend le micro, depuis les coulisses, pour nous accueillir et se mettre en confiance. C’est qu’il a le trac, bien que le spectacle ait déjà été beaucoup joué ! Et pour cause : pendant 1h15, il raconte sa vie, son parcours d’homme, de son enfance où son père n’a pas assumé son rôle ; où sa mère en a beaucoup souffert et pris de nombreux médicaments ; et où son frère jumeau a pris tous les attributs virils qu’ils auraient dû se partager à la naissance ; en passant par son adolescence, avec les premiers émois amoureux, la tentative de rentrer dans le moule ; jusqu’à l’âge adulte, quand il est enfin parvenu à assumer sa sexualité, et que sa relation au père a enfin évolué… Le tout est raconté sur fond de questions de genre et d’injonctions faites aux hommes, et réussit le tour de force d’être également extrêmement drôle. Un petit bijou d’humour et de réflexion qui constitue le premier volet d’une trilogie, dont les deux autres seront consacrés au sexe masculin, puis à la semence qui en sort, pour resserrer toujours un peu plus le focus. 

« Tu hisseras ta puissance masculine pour contrer cette essence sensible que ta mère nous balance en famille, elle fatigue ton invulnérable Achille » 

Le premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité, c’est avant tout un spectacle narrant le rapport aux personnages de sa vie. Ceux-ci sont caricaturés – est-ce d’ailleurs vraiment le cas ? – sur la scène, avec certains traits poussés à l’extrême car c’est aussi un spectacle d’humour. Pas de stand-up ici, même si Mickaël Délis s’adresse régulièrement au public. Il s’agit plutôt de contextualiser les scènes qu’il joue, tel un narrateur, avant d’incarner les personnages qui ont marqué son parcours. Le symbole est beau, d’ailleurs, puisqu’il commence par sa mère et termine par son père, comme pour boucler la boucle. La mère semble ne jurer que par la médication, indiquant par-là à quel point elle a souffert du départ du père. Elle laisse s’exprimer la personnalité de son fils, tout en l’influençant par moments pour qu’il convienne à l’idée qu’elle s’en est faite. Elle refuse ainsi qu’il coupe ses magnifiques cheveux longs, alors que lui en a assez qu’on le prenne sans arrêt pour une fille. La mère symbolise ainsi cette lutte contre les injonctions, mais tellement exacerbée qu’elle risque d’être contre-productive en enfermant son enfant dans d’autres carcans. Quant au père, il est l’exact opposé : symbole de la virilité assumée, il se balade constamment en slip à la maison, couche à tout-va et semble n’avoir aucun tabou… La réalité s’avèrera finalement plus subtile, grâce à la discussion que Mickaël aura enfin avec lui à l’âge adulte. On comprend que l’image est biaisée par différents éléments – discours de la mère, silence du père, interprétation du fils… Au final, Mickaël fait face à deux êtres cabossés, qui font du mieux qu’il et elle peuvent, mais rien n’est simple. 

D’autres personnages ont également exercé une certaine influence sur le jeune Mickaël. À commencer par son psychanalyste, qui le pousse à l’introspection, avec un côté freudien très développé. Mais le petit Mickaël peine à comprendre ce qu’on lui demande, et aurait peut-être souhaité une oreille attentive plutôt que de longues et profondes interrogations sur son lui intérieur. On évoquera aussi cet adolescent à la verge aussi développée que son ego et sa virilité. Avec son fort accent du Sud, il n’hésite pas à parler de masturbation dans les vestiaires, en demandant à Mickaël combien de fois par semaine il le fait. Une découverte pour le jeune homme, qui n’a jamais entendu parler de cela… Il y a aussi ses copines de classe, toujours à la recherche des ragots. La liste se prolonge encore, mais mieux vaut rencontrer ces personnages directement sur scène. Le curseur est donc quelque peu poussé chez tout le monde, mais ce nous montre aussi à quel point l’enfant, puis l’adolescent qu’était Mickaël, se retrouve tiraillé entre plusieurs influences. Comment être soi-même et se construire face à tout cela ? 

« Tu brilleras par ta force physique, ton allure dominante, ta posture de caïd et ton sexe triomphant pour mépriser les faibles » 

Le premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité agit comme une forme de psychanalyse, au-delà même de la catharsis souvent expérimentée au théâtre. Psychanalyse pour Mickaël Délis d’abord, avec une véritable mise à nu sur un parcours très intime. Tout est-il vrai ? Là n’est pas la question ! À travers le parcours qu’il narre sur scène et toutes les injonctions, parfois contradictoires, auxquelles il a fait face, il rend compte d’une forme de virilité abusive qu’on l’a encouragé à affirmer : il faut être costaud, se battre pour s’imposer, parler fort, ne pas montrer ses émotions, avoir confiance en soi… Tout cela, on l’a tous entendu à un moment donné de nos vies. C’est pour cela que tout est exacerbé dans son propos : il montre comment, alors qu’on est en pleine construction, on perçoit tout un peu plus grand, un peu plus fort / marqué / exagéré que ça ne l’est en réalité. Mickaël dit en raconte également avoir été entouré de femmes durant son enfance, qu’il s’agisse de sa mère, des copines de celles-ci, ou des mères de ses camarades de classe. La rencontre avec des garçons en pleine adolescence agit alors comme un choc, en découvrant un monde auquel il n’avait pas été confronté jusqu’alors. Ajoutez à cela la différence physique – Mickaël était petit, frêle, avec des cheveux longs, alors que son frère jumeau était tout l’inverse – et vous comprendrez pourquoi tout a été si difficile dans son développement. Le premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité est ainsi particulièrement fin et intelligent dans sa manière de développer la dimension psychologique de ces injonctions. Plus qu’un homme déconstruit, on fait face à un homme qui n’est pas encore construit. 

Alors, inévitablement, même en tant qu’homme cis hétérosexuel, on se compare à lui, on s’identifie à son parcours. Bien sûr, tout n’est pas similaire, mais on repense à nos camarades du cycle d’orientation, à cet âge bête où l’on cherche à exacerber une virilité dont on ne sait pas encore grand-chose. On se remémore nos premières relations avec les filles, la maladresse qui peut en découler. On revoit tous les moments où on a le sentiment de ne pas être comme les autres, de ne pas entrer dans le moule, parfois même dans de petits détails. Car chaque être et chaque situation sont différentes, par nos influences, notre milieu social, notre sexualité, nos passions, nos attraits… Mickaël Délis parvient avec ce seul-en-scène à s’adresser à tous les hommes, et même plus largement, quelle que soit l’orientation sexuelle, l’expression et identité de genre, tout en ne parlant que de lui-même et de son homosexualité. Cela demande, certes, un petit travail mental au public, mais on ne peut sortir de la représentation sans avoir à l’esprit nombre de réflexions, remises en question, souvenirs qui reviennent. Un spectacle qui ne laisse pas indifférent, qu’il faut voir, et qui restera sans doute encore longtemps un de mes coups de cœur, tant il est marquant. 

Fabien Imhof 

  

Infos pratiques : 

Le premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité, de Mickaël Délis et la Compagnie Passages, les 17 et 18 septembre 2025 à l’Usine à gaz, puis du 5 au 8 mars 2026 au douze dix-huit. 

Mise en scène : Mickaël Délis et Vladimir Perrin 

Avec Mickaël Délis 

https://usineagaz.ch/event/le-1er-sexe-ou-la-grosse-arnaque-de-la-virilite/ 

https://ledouzedixhuit.ch/spectacle/le-premier-sexe/ 

Photos : ©Marie Charbonnier 

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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