Les réverbères : arts vivants

Un cataclysme synesthésique : chronique d’un samedi pianistique

Le 4 septembre dernier, le festival Cataclysme Piano #4 débutait, pour quatre jours au Galpon, avec Ferraille Baroque, un concert pour piano préparé et soprano de Géraldine Schenkel et Poline Renou. Au programme différentes performances, allant de la dégustation au concert en passant par des projections, avec toujours à cœur de rendre hommage à l’Instrument-Maître : le piano.  

Nous choisissons le samedi 6 septembre pour nous immerger, une journée, dans le festival. Si l’épicentre de celui-ci se situe au Galpon, nous avons rendez-vous d’abord à 15h00, au 9 chemin du Faubourg-de-Cruseilles, à Carouge, pour une performance poétique et monumentale : La tour de pianos. L’un-e après l’autre, 6 pianistes, en solo ou à plusieurs mains, font résonner, une dernière fois, les pianos choisis, et sauvés d’une fin silencieuse. Puis, un à un, les instruments s’élèvent dans les airs, et sont empilés minutieusement, sous les yeux d’un public qui retient son souffle – donnant à l’air une atmosphère particulière mêlée de curiosité, de peur et d’excitation – par l’acrobate Janju Bonzon. Un piano. Puis deux. Trois. Quatre. On se rapproche du ciel. Cinq. Premier vacillement. Six. La respiration se coupe. Sept. Et c’est l’effondrement. Une fanfare funèbre réunie pour l’occasion, avec notamment au trombone Géraldine, s’avance lentement. Pied gauche. Pied droit. Pied gauche. Entourer les débris de piano, au sol, d’un dernier hommage musical. C’est beau. Et puis, les enfants se ruent vers les ventres ouverts des pianos, pour récupérer, tels des trésors, marteaux et touches blanches et noires. 

Quelques heures plus tard, au Galpon, la soirée débute avec un premier concert, entre improvisation, jazz et musique nouvelle. Pat Thomas, artiste anglais, fait son entrée sur la scène, dépose sa veste, au sol, près du piano, et s’assoit. De là où nous sommes, nous ne voyons pas ses mains, uniquement leur reflet dans le couvercle sombre et brillant de l’instrument. Le corps du musicien s’anime dans l’excellence et la maîtrise de son art. Les applaudissements saluent la virtuosité. Plus tard, dans la soirée, le public se réunit à nouveau, autour d’un autre piano, pour une performance très différente mais toute aussi excellente. Peter Conradin Zumthor et René Waldhauser font leur entrée en scène. Le premier prend place devant le clavier, tandis que le second se place sur le côté. Pendant presque une heure nous assisterons à une performance, tout à la fois sonore et physique. À grande vitesse les doigts du pianiste frappent les touches – les muscles et tendons en alerte, la sueur au front – pendant que son complice joue à (dés)accorder les cordes, les bras à l’intérieur de l’instrument. Les sons se modifient, des sonorités nouvelles explosent. Nous venons d’entendre Things are Going Down. 

Avec Cataclysme Piano, il n’est pas juste question de concerts. Le festival offre à l’instrument la liberté de déployer l’ensemble de ses possibilités au travers de diverses installations et autres entre-sorts pianistiques. Le collectif pianoForte invite à rentrer, au sens premier du terme, à l’intérieur d’une caisse de résonance, construite à partir d’éléments de piano. Couché-e, on est glissé à l’intérieur de la boîte magique dans une quasi-obscurité. Au dehors, à l’aide d’archets, de baguettes, d’outils, et autres objets, un groupe de personnes font chanter et vibrer l’habitacle. Le corps est englobé de sons étranges, qui viennent se loger le long de la colonne vertébrale, au creux des muscles pour les détendre, et l’imaginaire s’emballe pour un voyage fabuleux. Une main vient se poser sur la cheville. L’expérience touche à sa fin, mais nous serions bien resté-es encore dans la douceur de cet en-dehors-du-monde. La salle de répétition du Galpon recèle également quelques surprises. D’abord la projection de Sophie Watzlawick, Tredecimtuor, sur l’Orchestre des 13 pianos, puis un film, Cinétique piano de Florence Guillermin, mettant en scène une marionnette fantastique construite à partir de marteaux et autres matériaux et fragments pianesques par Grégory Rault. Il nous reste encore à découvrir une création de la compagnie Tête dans le Sac Marionnettes. Un moment de rires et d’humour mettant en scène quelques poules duveteuses, gracieuses et dansantes et un loup gigantesque dans l’esthétique merveilleuse et si reconnaissable de la compagnie. Les marionnettes sont à fils, comme un lien avec l’instrument célébré, sur lequel elles évoluent tandis que le pianiste joue un air bien connu des amateur/trices de la série Alfred Hitchcock Présente. Qui du loup ou de la poule a pris son envol en premier ? On vous laisse deviner. 

Tard dans la soirée, on quitte le Galpon sous les notes sublimes du talentueux Titi, vêtu d’un somptueux costume signé Spooky Dolls Surgery, et des mille feux d’un Piano-à-facettes, oeuvre d’Anastasia Saltet. Et on se dit surtout, à bientôt, dans 4 ans.  

Charlotte Curchod 

Infos pratiques : 

Cataclysme piano # 4, par Boxing Piano, du 4 au 7 septembre 2025 au Galpon. 

https://galpon.ch/spectacle/cataclysme-piano-4  

Photos : ©Isabelle Meister 

Charlotte Curchod

Des spectacles qu’elle inventait sur le balcon du chalet familial à la programmation pour FriScènes, le théâtre a souvent joué le premier rôle dans sa vie. Passionnée des coulisses et des processus de création, on la retrouve parfois aux lumières. Ce qu’elle aime le plus, c’est le moment magique, suspendu, juste avant les applaudissements. Au sein de la Pépinière, elle vous emmène parfois en reportage à la rencontre des acteurices culturelles et s’occupe de la page Cultur’Actus.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *