Un fragment de vie
Sur la scène de la Maison Saint-Gervais, le comédien Davide Brancato se livre et se dévoile, sur fond de « Bohemian Rhapsody », et interroge la masculinité, dans son solo Pauvres Garçons, à voir jusqu’au 23 mars.
Un solo ensemble
Jeudi soir nous avons assisté à la première de Pauvres Garçons, et ce sont toujours des moments particuliers, les soirs de première. Il y a dans l’air un je-ne-sais-quoi d’électrique, de fragile et d’impatient. Dans la salle l’écoute est particulière et l’émotion belle, et sur scène, juste après les applaudissements chaleureux, il y a ce plaisir de découvrir ce qui se cache derrière un solo : une multitude de visages et de talents, que Davide remercie, avec la voix pleine d’émotion, et les bras chargés de fleurs à partager. Si le comédien est seul sur scène pendant près d’une heure, on sent cependant une véritable synergie d’équipe, où scénographie (Lucie Meyer), costumes (Safia Semlali), textes et dramaturgie (Camille Desombre), lumières (Vincent Scalbert) et musique (Alma Catin) sont en cohérence et en constants dialogues.
Sous le tissu noir, du rose : l’histoire d’un dévoilement
Pauvres Garçons, c’est un espace entre le rêve et la réalité, entre le quotidien et l’imaginaire. Parmi les fils tendus qui relient ensemble les divers éléments de la pièce, on retrouve l’histoire personnelle de Davide, l’histoire d’un parcours, d’un chemin. On retrouve la figure obsédante de la route qui traverse toute la pièce, chemin tout tracé ou de traverse, la lumière des phares qui pétrifie autant qu’elle révèle, le bitume avalé à grande vitesse sur des engins motorisés ou qui ronge la chair dans la chute ; et puis se relever, et avancer. C’est une trajectoire qui relie l’enfance à un temps très proche du présent, et ce sont aussi des personnages – tous et toutes incarné·e·s par Davide dont la voix vient dire quelque chose de l’autre et de soi – dans le creux et le négatif parfois – qui sont autant de lieux et d’angles pour interroger le masculinité ou la virilité : celle que la société impose, celle que l’autre impose, et celle qui est imposée aussi de soi à soi, sans doute pour satisfaire l’autre, plaire à son regard et peut-être être désiré ou aimé, jusqu’à l’étouffement.
Scénographie et costumes forment un univers en symbiose et au service d’une dramaturgie du dévoilement. Chaque fragment de vie porté à la scène évoque une possibilité de se rapprocher de soi, non pas en tentant de recoller ensemble des morceaux épars, mais plutôt dans un mouvement de métamorphose que le costume épouse afin, non pas de dissimuler, mais de dévoiler. Un même élan, dont nous ne dirons rien de plus, pour laisser à vos yeux le plaisir de la découverte, prend vie également au niveau de la scénographie. Cependant, la pièce ne s’arrête pas à une simple mise à nu de la peau, elle va un peu plus loin, et elle interroge ce que la masculinité fait aux corps. Le devenir soi, dans Pauvres garçons passe également par une mue, la disparition de quelque chose, une déconstruction : Mama, just killed a man, pour reprendre les mots de la chanson « Bohemian Rhapsody » fil rouge et point de départ de la pièce, dont nous redécouvrons les paroles portées à la scène. La chanson, d’ailleurs commence ainsi, Is this the real life, is this just fantasy […] no escape from reality. Et tout au long de la pièce, la parole oscillera entre quelque chose de très quotidien et de très personnel, et des textes qui ouvrent l’espace vers quelque chose de plus poétique et de plus onirique, donnant, en plus des aspects visuels et musicaux, l’impression aux spectateur·ice·s d’assister à quelque chose d’un rêve…
Freddie Mercury comme modèle
Sur scène, Davide questionne la masculinité et cela l’emmène à réfléchir également aux modèles qui façonnent les devenir. La figure paternelle – prof de français et lisant Jean-Paul Sartre – ne sera pas un modèle, mais Freddie Mercury si ! La pièce vient souligner la complexité et la nécessité des modèles dans nos déconstructions et constructions. S’il y a des modèles qui nous éloignent de ce que nous sommes véritablement, d’autres, au contraire, – et bien loin de chercher à en être une copie conforme – incarnent au contraire la liberté et la force d’être soi. Éloge d’une certaine manière du théâtre – l’espace où il est possible de devenir soi – Pauvres garçons nous propose un rêve pop qui ose la vulnérabilité comme force.
Charlotte Curchod
Infos pratiques :
Pauvres Garçons, de Davide Brancato, à la Maison Saint-Gervais, du 13 au 23 mars 2025.
Mise en scène : Agathe Hazard Raboud
Avec Davide Brancato
https://saintgervais.ch/spectacle/pauvres-garcons/
Photos : ©Matthieu Croizier (banner)