Le banc : cinéma

Un Retour qui tourne mal ?

Le Retour, réalisé par Catherine Corsini, narre l’histoire d’une mère et de ses deux filles, adolescente et jeune adulte, qui reviennent en Corse, une terre qu’elles ont quittée 15 ans auparavant. Très vite, elles seront confrontées aux souvenirs douloureux, aux expériences de vie et à une forme d’hostilité de la part de certains locaux.

Khédidja (Aïssatou Diallo Sagna) était mariée à un Corse, décédé alors qu’elle et ses filles s’apprêtaient à quitter l’Île de Beauté. Depuis, toutes trois vivaient en métropole. Mais une proposition d’emploi dans une riche famille de la région a conduit Khédidja à revenir sur ses terres, accompagnée de Jessica (Suzy Bemba) et Farah (Esther Gohourou). La première brille dans ses études en sciences politique, tandis que la deuxième, encore adolescente, se cherche, se rebelle et commence même à dealer. Le contexte familial est particulièrement compliqué, et l’arrivée en Corse ne va rien faciliter. Il y a la rencontre avec la famille corse, que les deux jeunes femmes croyaient à tort disparue ; l’hostilité, voire le racisme de certains locaux ; l’opposition entre leur logement dans un camping et la magnifique villa dans laquelle leur mère travaille comme assistante maternelle. C’est un véritable choc pour cette famille, au moment où les deux jeunes femmes se découvrent en même temps que leur passé. Rien ne tourne donc comme prévu.

Trouver sa place

En visionnant Le Retour, on a la sensation d’une histoire cyclique, qui se répète. Khédidja ne s’est jamais vraiment sentie chez elle en Corse. Elle vivait là, mais avait plutôt le sentiment de vivre chez son mari, sans appartenir à cette terre. Raison pour laquelle elle avait décidé de partir, entraînant une fin tragique pour son mari qui tentait de la suivre… Pour Jessica et Farah, le sentiment est similaire : n’ayant pas grandi en Corse, elles peinent à se faire une place. Ajoutez à cela que la Corse est présentée comme un microcosme très particulier. Catherine Corsini parvient à montrer toute la complexité de cette histoire apparemment simple : il faut à la fois se trouver en tant que personne, dans son avenir professionnel comme dans des dimensions plus personnelles, tout en faisant face à un milieu inconnu, voire hostile par moments.

À travers les paradoxes et conflits internes, le film de Catherine Corsini illustre aussi ceux de la famille, voire encore plus. Le Retour ne révolutionne pas le genre, mais tout est très bien construit, avec les dimensions des questions de féminité et tout ce que cela entraîne, ainsi que la question raciale, en toile de fond. Il y a d’abord cette hostilité d’Orso (Harold Orsoni), le plus Corse des Corses, qui enchaîne les remarques racistes envers elle et d’autres enfants d’origine étrangère. Farah, elle-même, a intériorisé cette différence, qu’elle perçoit comme une faiblesse. Elle s’étonne d’« être aussi noire » alors que son père était blanc, jalouse sa sœur qui  un prénom bien plus international que le sien, qui marque trop ses origines selon elle. Pas étonnant dès lors que son image d’elle-même ne soit pas celle qu’elle devrait être. Difficile de se construire, pour une adolescente, dans ces conditions. Du côté de Jessica, tout est en train de changer également : elle doit faire un choix pour la suite de ses études, tout en restant en accord avec ses valeurs. Et puis, il y a cette attirance qu’elle ressent pour Gaïa (Lomane De Dietrich), la fille des patrons de sa mère. Tout cela est nouveau pour elle, et il faut apprendre à vivre avec. Sans oublier les relations complexes avec les autres protagonistes : le meilleur ami du père qui semble entretenir une relation ambiguë avec la mère ; la grand-mère que les filles croyaient mortes et qui est en conflit avec la mère ; Orso et ses a priori…

Montrer la Corse

On le sait, la Corse attise beaucoup de clichés et de fantasmes. Le Retour est l’occasion de montrer la réalité de l’île. Il y a, d’abord le côté visuel, avec une photographie magnifique : les paysages sont à couper le souffle, les plages s’étendent à perte de vue, les petits villages typiques sont merveilleux, l’eau cristalline… En ce qui concerne la population, c’est différent. Catherine Corsini choisit d’entrer par le biais de certains clichés : on a déjà évoqué l’attitude d’Orso ; voilà qu’on apprend que le père avait des contacts peu recommandables dans la pègre. Rapidement, pourtant, Le Retour entre plus en profondeur dans ces idées reçues. Sans occulter la réalité, qui comprend la fierté corse et la limite, régulièrement franchie, avec la loi, ce film n’oublie également pas d’aborder comment tout a été intériorisé par les Corses, à travers l’éducation et les modèles qu’iels ont. Orso, qu’on déteste d’emblée, s’avère ainsi avoir un grand cœur, étant bien plus ouvert à la différence qu’il n’en paraissait. Il apprendra à connaître Farah, et parviendra même à l’apprécier, alors même que leur relation avait plus que mal débuté. C’est le cas aussi de cette famille qui emploie Khédidja : le père, Marc (Denis Podalydès), met sans arrêt les pieds dans le plat avec des remarques à la limite du racisme, ce que sa fille Gaïa lui fait bien comprendre. Petit à petit, il apprend à mieux exprimer sa volonté bienveillante, à comprendre ce qui n’est pas acceptable. Les liens avec Gaïa n’iront d’ailleurs qu’en s’améliorant.

Au final, Le Retour est une belle découverte. Ce film qu’on nous présentait comme un drame apporte une dimension très humaine, avec de beaux moments d’émotion et de rires aussi. Une manière de suivre le chemin intérieur de deux jeunes femmes et de leur mère, mais aussi d’entrer plus en profondeur dans la complexité d’une population bien plus intéressante et ouverte d’esprit qu’on veut bien nous le faire croire habituellement.

Fabien Imhof

Référence :

Le Retour, réalisé par Catherine Corsini, France, 2023.

Avec Aïssatou Diallo Sagna, Suzy Bemba, Esther Gohourou, Harold Orsoni, Lomane De Dietrich, Denis Podalydès…

Photos : ©Chaz Productions

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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