Une bulle temporelle au Musée
Jacqueline Ricciardi nous emmène dans une expérience sensorielle au sein du MAH. À partir de la question L’art se soucie-t-il de toi ?, la comédienne nous propose une déambulation poétique au milieu des œuvres.
Jacqueline Ricciardi nous attend à l’entrée du musée. Dans l’agitation de l’institution, entre touristes et shooting photos de mariage, la performance débute au milieu des imposants escaliers, dans un face-à-face avec la comédienne, sur des tabourets pliables. Il s’agit de créneau individuel d’une demi-heure. Elle nous explique que sa démarche est née pendant la période du Covid, où en tant qu’artiste, elle s’interrogeait sur la place de l’art en temps de crise sanitaire. Elle ne cherche pas à apporter de réponses toutes faites, ni nous imposer un rapport à l’art en particulier, mais plutôt à générer ces questionnements parmi ses interlocuteur/trices.

La forme du face-à-face est inhabituelle au sein de nos sociétés accélérées, d’où l’intérêt de prendre ce temps d’entretien dans grand hall, qui permet de créer une bulle autour de nous. L’enjeu est là : créer un espace privilégié malgré le passage et l’agitation du musée. La comédienne nous pose quelques questions, notamment si l’on a quelque chose qui tourne dans notre tête ces derniers temps. Ensuite, elle nous fournit une feuille avec une marche à suivre, prépare un casque de musique, et l’échange devient non-verbal à partir de cet instant.
La première étape est l’écoute d’un morceau en entier, les yeux fermés, toujours sur le tabouret. Ensuite, le morceau terminé, le casque garde sa fonction anti-bruit pendant la durée de la performance. Nous suivons Jacqueline, à deux mètres derrière elle, dans un tracé extrêmement précis. La dimension spatiale de la performance est primordiale, car le trajet est pensé pour nous faire passer dans une majorité des ailes du musée. Les rotations sont marquées en angle droit, et nous passons les pas de portes bien centrées, ce qui permet d’apprécier l’architecture du bâtiment, avec l’impressionnante perspective de ses enfilades.
Durant cette déambulation sans parole, nous effectuons seulement quelques micro pauses, où Jacqueline nous indique des œuvres ou des détails auxquels porter attention. En n’ayant pas à réfléchir au trajet, on se laisse attraper par des peintures ou des objets qu’on croise, auxquel-les on n’avait jamais prêté attention. Puis, en disposant les tabourets face à face, nous prenons de nouveau place face à la comédienne, qui nous indique de prendre quelques profondes inspirations. Enfin, nous découvrons l’œuvre choisie pour nous, différente pour chaque performance, avec laquelle nous allons passer quelques minutes. Grâce à l’isolation du casque, la proximité avec la toile, ainsi que toute la mise en condition précédente, l’appréciation de la toile est optimale. Cet instant, dont nous ne connaissons pas la durée précise, permet de prêter attention au sujet, à la technique, au cadre, laissant libre court à notre ressenti, car aucune indication sur l’œuvre n’est donnée.
Après ce temps suspendu, Jacqueline, restée derrière nous, nous pose la main sur l’épaule pour reprendre la déambulation. Nous finissons par regagner le hall d’entrée, toujours sans parole. Il est temps de récupérer une dernière trace de cette expérience, avant de se poser et d’y réfléchir une fois hors du musée. On ne saura pas si l’art prend soin de nous, mais ce dont on est sûre, c’est que Jacqueline Ricciardi, elle, oui, prend soin du temps passé en sa compagnie.
Léa Crissaud
Infos pratiques :
L’art se soucie t-il de toi ? une performance de Jacqueline Ricciardi à voir au Musée d’Arts et d’Histoire les 26 et 27 septembre 2025.
Avec Jacqueline Ricciardi
https://www.mahmah.ch/agenda/lart-se-soucie-t-il-de-toi/65757690
Photos : Nicolas Righetti et Jacqueline Ricciardi
