Une cartographie poétique d’Oslo
Dernier volet de la trilogie d’Oslo du norvégien Dag Johan Haugerud, Amour explore les différentes visions du couple et de la sexualité à travers un florilège de personnages touchants, avec un regard exempt de tout jugement.
Marianne (Andrea Bræin Hovig), médecin en urologie à l’hôpital, et Tor (Tayo Cittadella Jacobsen), infirmier dans le même service, se retrouvent dans le ferry assurant la traversée entre Oslo et Nesoddtangen. C’est l’occasion de partager où chacun en est dans ses situations sentimentales : l’une revient d’un blind date organisé par sa meilleure amie et s’interroge sur le sens d’une vie amoureuse sans engagement, et l’autre, habitué des rencontres d’un soir, est bouleversé par un homme qui lui échappe… Amour traite donc des différentes relations existantes, hétéros ou homosexuelles, fidèles ou passagères, et en allant loin dans la psychologie des personnages, il réussit à les mettre toutes sur le même plan, sans jugement. Ainsi, Dag Johan Haugerud dresse une cartographie poétique des habitant-es d’Oslo.
L’hôpital
Le film commence à l’hôpital, avec l’annonce par Marianne d’un cancer de la prostate à un patient incrédule. Le centre de santé sera un point névralgique du film, en interrogeant les relations de soin : Tor, qui assiste à la consultation, se rend compte que le patient en question n’a pas saisi les implications liées au traitement de la maladie, et prend le temps de lui réexpliquer. Le service d’urologie dans lequel les deux personnages travaillent n’est pas anodin, car, comme l’exprime Marianne, la zone pelvienne touche à ce que chacun a de plus intime, mais également à la notion de plaisir. L’ablation de la prostate n’a en effet pas le même impact psychologique chez les hommes gays, comme l’explique Tor, reliant la question de la santé et de la sexualité. L’hôpital est également le lieu où se retrouve sans distinction de classe tous les représentant-es de la société, allant d’un livreur Uber Eats à un couple bourgeois. Face à l’annonce de la maladie, les différences s’effacent pour ne laisser place qu’à l’humanité commune et à la vulnérabilité du corps.
Nesoddtangen
Banlieue aisée située en face d’Oslo, reliée par un ferry, Nesoddtangen représente le confort et la stabilité. C’est là que Marianne assiste à un rendez-vous organisé par sa meilleure amie, elle-même mariée et installée là-bas. Elle y rencontre le géologue, un homme divorcé voisin de son ex-femme et de ses enfants, avec qui elle s’interroge sur la notion d’engagement. Depuis cet endroit, le géologue expose la vision générale de la baie, en forme de chaudron géologique dont on nous montrera toutes les strates.

Le ferry
Entre les deux, le ferry joue un rôle capital. Lieu de transit, de passage, la nuit il devient le repère des rencontres sur les applis : en activant la géolocalisation, il suffit juste de regarder autour de soi pour repérer les personnes ouvertes à une aventure. Tor est un habitué, quand il n’arrive pas à dormir il enchaîne les traversées et les rencontres furtives. Jusqu’au soir où il rencontre Bjorn (Lars Jacob Holm), psychologue qu’on retrouve dans les autres volets de la trilogie, qui lui résiste et lui échappe. On retrouve ce personnage dans tous les lieux du film, à l’hôpital, à Nesoddtangen, et la relation qui se développe entre Tor et lui sera la plus délicate d’Amour. Marianne se prête également au jeu des rencontres passagères depuis le ferry, en vivant une aventure d’une nuit avec un mari infidèle.

Oslo
La ville d’Oslo est l’endroit des rencontres et des bilans. C’est là où Marianne raconte ses aventures à sa meilleure amie Heidi (Marte Engebrigtsen), qui peine à saisir son attitude, entre doutes sur l’engagement et ses relations d’un soir. Heidi, quant à elle, travaille pour le service culturel de la ville et œuvre à organiser un événement pour le centenaire d’Oslo, un événement qu’elle voudrait le plus inclusif possible. Car, finalement, il s’agit d’une déclaration d’Amour à la cité et une célébration pour toutes les chevilles ouvrières qui font fonctionner ce vaste ensemble, à des rouages aux échelles diverses. Le dernier plan, montrant un concert depuis le toit de l’Hôtel de Ville en contre-plongée, illustre cette envie de rassembler au-delà des clivages, par l’art et la culture, autre aspect important des services publics.
Amour est donc un film en strates, qui sont interdépendantes, et qui se savoure dans sa langueur. En analysant autant les couches profondes que les drames humains éphémères, c’est finalement un film auquel on repense, qui nous accompagne, bercé-e par cette lumière douce et l’omniprésence de l’eau.
Léa Crissaud
Références :
Amour – Oslo Stories, réalisé par Dag Johan Haugerud, Norvège, sortie en salles le 13 août 2025.
Avec Andrea Bræin Hovig, Tayo Cittadella Jacobsen, Marte Engebrigtsen, Lars Jacob Holm…
Photos : ©Pyramide Distribution
