Les réverbères : arts vivants

Yacine Nemra, un « enfant génial… ou un chien ? »

Alors qu’on voyait en lui un prodige, promis à un brillant avenir, Yacine Nemra a dû déchanter une fois l’âge adulte arrivé. Dans Yacine Nemra est faible, il raconte son parcours, entre ego-trip enfantin et désillusions pleines d’auto-dérision. C’était à l’Orangerie, le 21 août.

Embarquez avec le capitaine Nemra et son fidèle acolyte, le micro farceur, pour un voyage dans le temps et l’espace, à bord d’un vaisseau spatial visant à combattre les connosaures, un mélange de cons et de dinosaures. Enfin, ça, c’est ce dont rêve le petit Yacine, 7 ans, après avoir relu 10 fois le même Boule et Bill et en attendant le retour de son papa après une dure journée de travail. Parce que la vie en a décidé autrement : on lui promettait les étoiles, un avenir brillant, ses profs le disaient. Alors, petit, Yacine y croyait : il était un enfant génial, hors du commun. Yacine le savait : il devait devenir LE jedi. Ne parlait-il pas de politique française avec son père dès sa plus tendre enfance ? N’avait-il pas réussi deux brillants exposés sur les animaux ? Pourtant, à 18 ans, quand il panique face à un oiseau entré dans sa chambre d’hôtel ou, quelques années plus tard, lorsque son amoureuse le quitte alors que tout semblait parfait, les signes d’un destin moins glorieux sont là. Pendant 1h15, Yacine Nemra nous raconte donc ce parcours, de l’enfant génial qu’il était aux désillusions, jusqu’à son burn-out la trentaine à peine passée, et ses problèmes de côlon. Avec cette question récurrente : « suis-je un homme… ou un chien ? »

Un premier seul-en-scène prometteur

On connaissait surtout Yacine Nemra pour ses chroniques sur Couleur 3, avec ses « Journées mondiales » et ses billets d’humeur, il a su créer son univers décalé, à base d’humour à la fois enfantin, engagé et empli de rebondissements inattendus. Sur scène, il adopte la même recette, en s’appuyant sur sa propre histoire. Il oscille ainsi entre le regard d’un enfant auquel toutes les portes sont ouvertes, que ses enseignants encensent, mais qui se fait martyriser par ses pairs, parce qu’il est spécial ; et celui d’un adulte qui a déchanté. Dans Yacine Nemra est faible, il ne s’épargne pas et se livre à nous, lui qui a tant de mal à le faire au quotidien, depuis que sa petite boule d’anxiété est apparue et n’a fait que grandir.

Ce premier seul-en-scène s’avère ainsi plein de bonnes idées et de jolies trouvailles, à l’image de cet hilarant passage sur le « Gent’Hitler » qu’il voulait devenir : pensez au pire dictateur que l’histoire ait connu, et imaginez son antagoniste empli de bonnes intentions. Le voilà qui enflamme les stades avec des discours progressistes et égalitaires, pour un monde meilleur. Voilà qui vous donne un petit aperçu de l’humour surprenant de Yacine Nemra, qui prend le contrepied des pires atrocités pour en faire un sketch drôle. C’est aussi ce qu’il fait après la partie sur son enfance, en évoquant une rupture difficile, sa dépression, ou encore la fois où il a failli mourir « en se chiant dessus », en renversant des situations angoissantes et des expériences difficiles pour en faire une force. Ou la définition même de la catharsis.

Un équilibre à trouver

Ce grand angoissé, comme il se définit lui-même, ne suit pas une mouvance prédéfinie du stand-up, comme le font de nombreux jeunes humoristes. Yacine Nemra poursuit sur ce qui a fait son succès pour créer son propre univers. Alors, forcément, certains passages divisent, comme l’humour pipi-caca qui ne convainc évidemment pas tout le monde. Le comique de répétition, où il fait répéter au public de brefs airs, comme les grands chanteurs, peut également lasser certain-es. Mais c’est aussi ce qui fait sa force : Yacine Nemra jongle entre différents types d’humour, pour satisfaire son public. Celles et ceux qui ont moins aimé un sketch se rattrapent sur une autre partie qui les rend hilares. Ce qu’on apprécie également, et qu’on ne peut en aucun cas lui reprocher, est le fait que Yacine Nemra ose. Il sort de sa zone de confort, tente des choses, à l’image de ce roast réalisé par son micro farceur, façon « bouchiloquie » – comprenez de la ventriloquie où l’on voit les lèvres bouger. De la même manière qu’il expie ses angoisses, ce petit moment lui permet de faire sortir tout ce qu’on pourrait reprocher à son spectacle, à commencer par une forme d’ego surdimensionné dans toute la première partie sur l’enfance. Cela lui permet d’une part de désamorcer les potentielles critiques, mais aussi d’affirmer la manière dont il assume ses choix. Une option qui va de pair avec ce qu’il n’a de cesse de répéter : il n’ose pas dire ce qu’il pense. La scène devient alors un moyen de surmonter cela.

Au final, le premier seul-en-scène de Yacine Nemra s’avère prometteur : on ressent sa patte et son univers humoristique. Le tout demande encore d’être affiné et équilibré pour trouver son rythme et son ton. Passer de chroniques courtes à la radio à plus d’une heure de scène, face à un public qui réagit dans l’instant n’est pas aisé, et Yacine Nemra s’en sort avec brio ! On se réjouit de voir la suite, une fois que le spectacle sera totalement rodé et que l’humoriste aura trouvé son public.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Yacine Nemra est faible, de Yacine Nemra, le 21 août 2025 au Théâtre de l’Orangerie.

Mise en scène : Tiphanie Bovay Klameth

https://www.theatreorangerie.ch/events/yacine_nerma_est_faible

Photo : ©Emma Ducommun

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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