Les réverbères : arts vivants

Association S5 : pour un pont entre sourds et entendants

Dans le cadre de sa médiation culturelle, l’association S5, qui promeut la langue des signes et une vision positive de la surdité, propose une adaptation du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, en version bilingue langue des signes et français. Rencontre avec Noha El Sadawy, médiatrice culturelle au sein de l’association.

En préambule, La Pépinière tient à remercier Procom et son service de traduction via relais vidéo « Mymmx », sans qui cette interview n’aurait pas pu se dérouler.

La Pépinière (L. P.) : Bonjour Noha, merci de nous recevoir dans le cadre de ce beau projet autour du théâtre. Avant de parler du spectacle à proprement parler, pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’association S5 ?

Noha El Sadawy (N. E. S.) : D’abord j’aimerais vous remercier d’avoir pris contact avec moi en vue de cet article. S5 est une association qui encourage l’accessibilité à la langue des signes. Elle se veut un pont entre sourds et entendants, en proposant notamment des activités pour les deux parties. Par exemple, nous organisons des cours de langue des signes pour que les personnes entendantes puissent communiquer avec les sourds. À la naissance de l’association, elle ne faisait que des vidéos d’information en langue des signes, afin de permettre aux personnes sourdes d’y avoir un accès. Depuis, en plus des cours de langue, nous organisons aussi des « cafés-signes », dans différents endroits, durant lesquels les sourds ont le rôle de serveurs, afin de créer des rencontres. Mais surtout, notre principal but est de promouvoir l’accès à la culture en langue des signes. Le monde culturel est souvent fermé pour les sourds, notre objectif est donc de l’ouvrir, afin que tout un chacun puisse y accéder de manière équitable, notamment dans les musées et les théâtres. Nous tâchons également de faciliter l’accès à certains domaines publics, comme la police ou les hôpitaux, en sensibilisant le personnel, par divers moyens, pour envisager un meilleur accueil et faciliter la communication entre sourds et entendants.

L. P. : La pièce que vous allez présenter samedi s’inscrit dans le cadre de la « Médiation culturelle S5 ». De quoi s’agit-il ?

E. S. : C’est un pôle de relais entre un public cible et un lieu. À chaque fois, je cherche à m’adapter au public concerné, qui peut être sourd ou entendant, afin de transmettre et de lui ouvrir le monde du théâtre. Je choisis d’abord la pièce et je vois ensuite comment l’adapter, quel sera le public visé… Par la suite, j’essaie de mélanger les publics, en leur proposant une réflexion pédagogique, pour que tous puissent être immergés dans la pièce. Par exemple, des sourds ne connaissent pas certains auteurs. Nous créons donc des vidéos explicatives et courtes afin de les faire découvrir ces auteurs et leurs œuvres, en nous adaptant aux besoins de chacun. À la fin du spectacle, nous proposons également un débat ou une rencontre entre des comédiens et le public. Cela permet un échange entre le public et les comédiens, afin de mieux comprendre un spectacle ou la culture de manière générale.

L. P. : C’est donc de là qu’est née cette idée de monter une pièce bilingue en langue des signes et en français. Pourquoi avoir choisi Le meilleur des mondes ? En quoi peut-elle parler au public ?

E. S. : Je l’ai vue il y a deux ans à l’International Visual Theatre à Paris. Ce théâtre a été créé il y a 40 ans, alors que la langue des signes était interdite depuis une centaine d’années en Europe. Les activités culturelles étaient donc limitées pour les sourds, en raison de ces barrières, présentes aussi à l’école. À la fin des années 70, on assiste à un « réveil des sourds », qui prônent un retour de la langue des signes. Un Américain, choqué par cet état de fait – cette langue était bien plus développée en Amérique du Nord – a contribué à ce réveil en créant des lieux d’expression en langue des signes, et notamment ce théâtre. Nous avons donc choisi de représenter Le meilleur des mondes parce que la pièce a été écrite pour être bilingue. Elle offre ainsi une accessibilité complète et égalitaire. Le texte a été adapté pour le jeu des comédiens, afin d’être parlante à la fois pour les sourds et les entendants. Le thème du clonage médical a également été modifié pour se mêler au sujet sensible de la communauté sourde. Notre volonté est ainsi d’amener plus de pièces en langue des signes en Suisse, parce qu’il y en a très peu.

L. P. : Je n’en ai effectivement jamais vu jusqu’ici. Le Théâtre du Loup, en collaboration avec la Comédie de Genève, propose une adaptation des Trois sœurs de Tchekhov en langue des signes russes. C’est un pas en avant, non ?

E. S. : Je ne l’ai pas encore vue et je me demande à quel public elle s’adresse, mais c’est une bonne chose ! Jusqu’ici, les pièces qui pouvaient s’adresser aux sourds sont en général traduites par un interprète. Notre but, avec Le meilleur des mondes, est d’axer sur l’aspect bilingue, qui est une approche nouvelle ici, afin de facilité l’accessibilité au théâtre.

L. P. : Vous insistez sur le fait que cette pièce est bilingue. Au-delà de la sensibilisation à la langue des signes, que peut-elle apporter au théâtre, pour un public entendant ?

E. S. : Je pense qu’elle peut aider le public à s’éveiller à cette langue et en appréhender la beauté. La langue orale agit comme support et va permettre au public de découvrir la langue des signes. C’est aussi un enrichissement, parce que c’est une langue très diversifiée. Elle est à la fois poétique et axée sur des techniques visuelles, qui mêlent le rythme, les paroles, la gestuelle du corps et des mains, que l’on ne trouve pas dans une langue orale. C’est la beauté de cette langue.

L. P. : Pour conclure, pourquoi faut-il absolument venir assister à la représentation du Meilleur des mondes samedi ?

E. S. : Parce que la présence de la langue des signes en fait une œuvre originale et unique. Il ne s’agit pas d’une traduction en langue des signes, mais bien d’un équilibre entre les deux langues, auxquelles le jeu des comédiens s’adapte, dans un style vraiment particulier. Je tiens d’ailleurs à souligner le grand travail de ces deux comédiens, qui sont formidables !

L. P. : Noha El Sadawy, merci beaucoup de m’avoir reçu. Je tiens à apporter mon soutien à ce projet, que je trouve personnellement très intéressant et original.

E. S. : Merci à vous !

Propos recueillis par Fabien Imhof

Infos :

Le meilleur des mondes d’après Aldous Huxley, adaptation d’Alexandre Bernhardt et Olivier Calcada, le samedi 12 janvier 2019 au Centre Pluriculturel d’Ouchy.

Avec Alexandre Bernhardt, Olivier Calcada et la participation d’Emmanuelle Laborit, Sophie Scheidt et Lucie Lataste.

Production : IVT – International Visual Theatre

http://www.s-5.ch/promotion-culturelle/theatre/

Pour en savoir plus sur l’association S5 : http://www.s-5.ch/

Photos : © IVT

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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