Agir les mots, sans un mot
Après le succès de l’an dernier, Joan Mompart et Philippe Gouin reprennent Actapalabra au Théâtre Am Stram Gram. S’inspirant du clown beckettien, le duo muet explore les ressorts comiques et visuels pour dire quelque chose de l’humain. À voir jusqu’au 29 septembre.
Sur la scène blanche et ronde, un homme en vert débarque, encapuchonné, en passant entre les trois rideaux opaques rappelant ceux d’une douche. Au rythme de la musique, il danse et se trémousse. Puis un second, son jumeau peut-être, arrive. La ressemblance est frappante, tant dans la tenue que dans les gestes. Ensemble, pendant près d’une heure, ils reviennent à l’essence du clown : plusieurs tableaux durant lesquels ils échouent à faire ce qu’ils veulent. Mais cet échec est magnifié par la machinerie de François-Xavier Thien (en alternance, pour la reprise, avec Baptiste Novello), pour les mener vers autre chose. On se rappelle alors Échouer encore. Échouer mieux, joué l’an dernier au Galpon et qui reposait sur les mêmes ressorts, les mots en plus. Sauf qu’Actapalabra s’adresse aux tout-es petit-es.
Magie de l’échec
Actapalabra pourrait être l’écho d’une célèbre formule magique mal prononcée. Cette interprétation serait tout à fait cohérente avec ce qu’on voit sur scène : des échecs successifs, qu’il s’agisse d’attraper un fruit tombant du plafond, d’enlever son pull ou de se rattraper au moment d’une chute… comme si la magie ne prenait pas. Et pourtant, c’est justement là que réside toute la magie de ce spectacle ! Car Actapalabra vient de l’espagnol et signifie « agir les mots ». La signification devient dès lors beaucoup plus poétique, alors que nos deux clowns tentent, au-delà de ce qui est dit, de tout montrer par l’action.

Le résultat devient alors très beckettien : les actions effectuées paraissent insensées, sans vraiment de but, sinon un résultat immédiat et rapidement désuet. Mais, à voir les réactions des enfants, qui rient, crient, essaient de donner des conseils aux deux complices, on se dit qu’il y a beaucoup plus à comprendre, et qu’ils et elles y parviennent. Les plus jeunes d’entre nous perçoivent cette immédiateté qu’on ne voit peut-être plus, une fois l’âge adulte atteint. Notre pensée s’étend toujours à plus long terme, en réfléchissant à l’action suivante, sans se concentrer sur l’instant présent. Et si c’était ça, la première leçon d’Acatpalabra ?
Échouer pour mieux réussir
Le basketteur en moi ne peut s’empêcher de penser à cette citation de Michael Jordan, qui dit : « J’ai raté 9’000 tirs dans ma carrière. J’ai perdu presque 300 matchs. 26 fois, on m’a fait confiance pour prendre le tir de la victoire et j’ai raté. J’ai échoué encore et encore et encore dans ma vie. Et c’est pourquoi je réussis. » La deuxième leçon de ce spectacle est peut-être là, d’où son adresse aux enfants. L’échec et l’erreur sont (trop) souvent perçu-es comme négatif/ves, alors que c’est tout le contraire : cela permet d’avancer, de progresser. Si on n’est jamais confronté-e à l’échec, comment apprendre de ce dernier pour s’améliorer ? Dans Actapalabra, c’est cet apprentissage qui nous est narré, avec une dimension comique qui le transcende. L’échec est même rendu drôle, de manière à le dédramatiser. Une jolie manière d’apporter cette réflexion fine aux plus jeunes. Quelle belle image, d’ailleurs, que de les voir tenter d’attraper la fumée qui provient du plateau, comme une tentative de palper quelque chose qui ne peut l’être…
On comprend alors mieux le choix de cette couleur verte pour les costumes des deux protagonistes : symbole d’espoir et de croissance, elle reflète ce but que les personnages cherchent à atteindre, sans savoir exactement lequel il est. Le fait qu’ils s’en défassent à la fin illustre sans doute le fait que cet objectif finit par être atteint, malgré, ou plutôt grâce aux échecs successifs sur le parcours. La scène finale, avec l’arrivée d’un autre protagoniste l’évoque aussi, en sous-entendant également une forme de régression. Celle-ci n’est pas vue négativement, invitant plutôt à faire un pas en arrière pour mieux observer, analyser, et peut-être penser à une forme de décroissance. Un autre élément me paraît important à souligner : ce qui reste. Après l’échec de leur tentative à décrocher le fruit, les escabeaux empilés deviennent sculpture figée, comme pour garder la trace de l’échec qui les a conduits là où ils en sont. Comme l’écrivait si bien Robert Louis Stevenson : « L’important n’est pas la destination, c’est le voyage. » Et voici la troisième leçon d’Actapalabra. Agir les mots.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Actapalabra, de Joan Mompart et Philippe Gouin, reprise du 19 au 28 septembre 2025, les 1er et 2 novembre 2025 à la Gare à Monthey, puis en tournée européenne jusqu’en mars 2026.
Mise en scène : Joan Mompart et Philippe Gouin
Avec Joan Mompart et Philippe Gouin, et François-Xavier Thien, en alternance avec Baptiste Novello, pour la machinerie.
https://www.amstramgram.ch/fr/programme/actapalabra
Photos : ©Ariane Catton Balabeau
