Art animalier et naïf à la Maison Saint-Gervais
Les Old Masters sont sur scène avec leur nouveau projet : Le cheval qui peint. À travers cet artiste animal incarné à trois, ils interrogent le rapport à l’art, mais aussi celui entre l’individu et le collectif, en nous invitant à prendre un autre regard. À voir jusqu’au 5 octobre.
«Je suis le cheval qui peint.
Je ne promets rien.
Je suis un petit troupeau,
le plus petit des troupeaux.Je suis le cheval qui peint
et je vais dans les endroits.
Le soleil se lève délicatement
ou peut-être qu’il se couche.
C’est là que je suis. »
Les premiers mots de la pièce sont prononcés par la voix-off de Jérôme Stünzi. Dans ce spectacle, pas de promesse, si ce n’est celle de partager la manière dont ce cheval (dé)peint le monde, avant de retourner dans les plaines. Comme toujours chez les Old Masters, on retrouve une forme de réflexion philosophique, mais avec toujours une sorte de naïveté apparente, comme des enfants qui s’interrogeraient. Une manière de revenir à quelque chose de l’ordre de l’essentiel, à travers différents tableaux, joués tantôt à trois, comme le cheval uni, tantôt seul-e, comme chacune de ses parties.
Contemplation et réflexion
Dans Le cheval qui peint, on assiste, comme on avait déjà pu le voir lors du reportage, à de longs passages sans paroles. Les choses ont d’ailleurs bien évolué depuis le filage auquel nous avions pu assister. Ainsi, la scène d’ouverture se déroule sur le plateau nu, seulement accompagnée de la musique composée par Nicholas Stücklin, nous laissant le temps de nous imprégner du décor et de l’ambiance. Les premières paroles, que nous avons citées auparavant, interviennent après plusieurs minutes, en voix-off, qu’on comprend être celle du cheval. Entre narration sur ce qu’il fait et les pensées intérieures de ce cheval de troi(e)s, la voix nous apporte des éclairages, tout en laissant aussi le temps d’appréhender ce qui se passe. Les longs moments sans paroles, presque toujours soutenus par la musique, entre les scènes jouées et dialoguées, permettent à notre esprit de vagabonder, et de prendre le temps de la réflexion sur ce qui nous est raconté.

Les scènes jouées, justement, interrogent, parfois de manière très terre-à-terre, différents aspects de l’art. Il est question de l’organisation d’une exposition, avec tout ce que cela comporte au niveau logistique : nombre de personnes, installations de toilettes, discours à prononcer. Et cette question centrale : « il y aura des chaises ? » On s’interroge aussi sur la manière de capter l’attention de l’auditoire, avec toute une dimension musicale, rappelant que certain-es ont un don pour cela. D’autres questions, plus profondes, viennent aussi s’intégrer à la discussion, notamment dans le rapport au collectif : comment communiquer, quelles limites garder entre projets individuels et communs. Jusqu’à entrer dans des dimensions plus personnelles de l’artiste : quel rapport à l’art, quelles inspirations, comment trouver sa place, ou encore la relation qu’on entretient avec le succès, et cette question toujours présente : pourquoi fait-on de l’art ? Pour le succès ou pour la beauté du geste ? Une question qui demande le temps de la réflexion. Et voilà que nous retombons sur nos pattes.
Changer de prisme
En choisissant d’incarner un cheval pour cette recherche, les Old Masters ne rendent pas uniquement un hommage aux animaux artistes du début du XXème siècle. C’est aussi une manière de changer de point de vue, d’apporter un regard métaphorique, pour prendre de la distance sur ces discussions d’apparence très prosaïque. Le cheval oscille entre volonté de grands espaces et domestication. En cela, il rappelle la figure de l’artiste, qui doit trouver l’équilibre entre l’expression de son art et une manière de toucher le public, sans que son art ne demeure hermétique. Sa liberté ne peut donc être totale et doit tout de même s’approcher d’un certain moule. En passant par le prisme du cheval, cette dimension est implicite, et permet de rester dans la réflexion de l’instant.

Les trois parties du cheval ont, elles aussi, une grande dimension symbolique. La tête, incarnée par Marius Schaffter, représente la réflexion, le côté posé, même s’il faut parfois agir dans l’instant, sans consulter le reste du collectif, en privilégiant la raison et la logique. Le corps, dans lequel on retrouve Julia Botelho, est dans le ressenti, en témoigne son joli monologue plus dans l’émotion que le reste du propos. Enfin, Anne Delahaye est l’arrière-train, celui qui donne l’élan, avec une dimension plus spontanée, plus incontrôlable aussi, d’où sa tendance à s’emballer parfois… Mais tout n’est pas aussi schématique : le collectif a ainsi l’intelligence de changer les rôles durant une scène, Julia Botelho incarnant la tête, Anne Delahaye le corps et Marius Schaffter l’arrière-train. Une manière de montrer que les rôles peuvent être inversés, mais surtout que tout n’est pas cloisonné : on peut incarner la raison et agir parfois spontanément ; être dans le ressenti mais prendre du recul pour réfléchir ; ou laisser nos sentiments prendre le dessus sur nos réactions immédiates. Le tout doit fonctionner, à l’image du collectif, avec les différents points de vue, qui doivent finalement converger vers un but commun. Et cette réflexion peut d’ailleurs être étendue en-dehors du domaine de l’art.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Le Cheval qui peint, du collectif Old Masters, du 25 septembre au 5 octobre 2025 à la Maison Saint-Gervais.
Écriture, chorégraphie et mise en scène : Sarah André, Marius Schaffter et Jérôme Stünzi
Scénographie et costumes : Jérôme Stünzi et Sarah André
Avec Julia Botelho, Anne Delahaye et Marius Schaffter
Composition et création sonore : Nicholas Stücklin
Création lumières : Joana Oliveira
https://saintgervais.ch/spectacle/le-cheval-qui-peint/
Photos : ©Old Masters (photo de plateau) et ©Matthieu Croizier x Dual Room (visuels)
