Les réverbères : arts vivants

Canción sin miedo

Los Dias afuera à La Comédie de Genève, dans le cadre du Festival Antigel, était l’occasion de découvrir un mélange totalement inespéré : documentaire carcéral et music-hall. Une grande réussite de la metteuse en scène et réalisatrice Lola Arias et de ses comédien·ne·s.

Le pari était osé, et finalement totalement tenu. Les personnes sur scène, Yoseli Arias, Paulita Asturayme, Carla Canteros, Estefanía Hardcastle, Noelia Pérez, et Ignacio dit Nacho Rodríguez, ont un vécu commun : un passé carcéral à la prison pour femme d’Ezeiza, dans la province de Buenos Aires. Elles[1] arrivent en descendant la grande salle de la Comédie, telles des divas, sous les applaudissements, avant de se camper au devant de la scène, rideau fermé. C’est l’occasion de donner des précisions biographiques en ping-pong, avec des phrases courtes, qui se répondent, et surtout qui ne les réduisent pas à leur simple passage en prison. Le message de cette introduction est fort : elles sont sorties de l’emprisonnement, elles ont travaillé sur ce projet, se le sont approprié, et elles sont maintenant devant une salle comble en Suisse, en tenue de soirée.

Rapidement, le ton est donné : ce sera un spectacle musical. Grâce aux différents talents réunis, car elles sont musiciennes pour la plupart, elles assurent la batterie, la basse, le piano, et sont également accompagnées sur scène de la musicienne Inés Copertino. Les genres musicaux sont variés, et prouvent l’importance de la musique pour elles. On passe donc de la cumbia, au rock argentin, jusqu’au son électro des ballrooms de voguing, dont Noelia Pérez est une figure importante en Argentine. Tout cela entrecoupé de numéros choraux qui racontent leurs rêves, ou quelque chose de la prison.

En jouant avec les codes du music-hall, Lola Arias leur permet d’exprimer de nombreuses idées de manière percutante, de transmettre des revendications tout en insufflant une nouvelle énergie. On passe d’un sujet politique à une séquence chantée et chorégraphiée, sans que cela ne diminue la force du propos. Parmi les thèmes abordés, elles évoquent leurs difficultés à la sortie de prison et la peur d’y retourner. L’importance de la famille transparaît également, ainsi que la manière dont l’amour se vit en détention, notamment à travers des échanges téléphoniques. Noelia Pérez et Nacho Rodríguez partagent quant à elles leurs expériences en tant que personnes trans et les stigmatisations spécifiques auxquelles ils doivent faire face, sans oublier de rappeler le contexte actuel argentin sous le régime de Milei, défavorable aux personnes transgenres.

La scénographie s’inspire des décors de Broadway, mais dans un état de construction, avec des échafaudages volontairement laissés visibles. En y déambulant, l’espace se métamorphose tour à tour en stade de football ou en salle de concert. Côté cour, une voiture équipée d’une caméra embarquée et d’un fond vert délimite un autre espace, projetant ses passagères sur un écran placé derrière le décor, avec des paysages changeant en fonction du propos. L’espace se transforme avec fluidité, et la vidéo sert habilement la narration, notamment pour illustrer les appels en visioconférence, vecteur de communication essentiel en prison. L’ensemble de ces procédés contribue au rythme du spectacle, qui ne connaît aucun temps mort.

Multifacette, exubérant, Los Dias Afuera nous montre qu’il est possible de se réinventer malgré des antécédents pénaux, et continuer de danser et de chanter. Elles nous offrent un final joyeux et touchant, en exprimant leur gratitude de recevoir une standing ovation à des milliers de kilomètres de chez elles, par un public si différent de leur réalité, dans un futur qu’elles n’auraient jamais imaginé depuis les murs de leur cellule.

Léa Crissaud

Infos pratiques :

Los Dias Afuera, de Lola Arias, du 27 février au 1er mars 2025 à la Comédie de Genève, dans le cadre du Festival Antigel

Avec Yoseli Arias, Paulita Asturayme, Carla Canteros, Estefanía Hardcastle, Noelia Pérez, Ignacio Rodríguez et Inés Copertino

En lien avec le spectacle : REAS, de Lola Arias, projeté aux cinémas du Grütli jusqu’au 23 mars.

https://www.comedie.ch/fr/los-dias-afuera

Photos: © Eugenia Kais

[1] Le choix de l’emploi du féminin dans l’article est délibéré, et repris des mots de la metteuse en scène, même si certain·e·s comédien·ne·s ne s’identifient pas comme telles.

Léa Crissaud

Passionnée par la culture sous toutes ses formes, Léa s’est engagée au sein du comité de La Pépinière il y a un an. Elle y coordonne aujourd’hui le Pôle Cinéma, avec la volonté de partager sa passion et de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Elle écrit entre son travail de barista, ses études en médiation culturelle, et la coordination des cours à la Fête de la danse de Genève.

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