Les réverbères : arts vivants

Casino-Théâtre : Genève fait sa Revue !

La Revue 2019 porte bien son nom : Tous pourris ! … heu… non… Tous pour rire ! Et les rires ne manquent pas, dans la mise en scène d’Antony Mettler. De Maudet crucifié aux gilets jaunes, du CEVA aux trottoirs du pont du Mont-Blanc… retour sur une année d’actualité dans la cité de Calvin, déboulonnée par une troupe talentueuse !

J’avoue, je n’avais jamais voulu voir la Revue. Trop vulgaire, trop facile, trop lourd, trop beauf, trop bof… Pour moi, la Revue rimait avec gags pas très fins, critiques faciles, grandes gueules qui brocardaient pour rien. Mais ça, c’était avant. Comme il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, j’ai sauté le pas… et j’ai adoré ça !

La Revue : un spectacle 100% Genève !

L’édition 2019 de la Revue est un petit bijou d’inventivité, de rythme, de situations improbables, de personnages-caricaturaux-mais-pas-tant-que-ça, de textes irrévérencieux mais toujours réfléchis – un régal qui met un grand éclat de rire dans une fin d’année prisonnière du stratus genevois. Genève, c’est évidemment le cœur de la Revue et cette mouture ne fait pas exception : les auteurs et humoristes Antony Mettler, Laurent Nicolet, Vincent Kohler et Lionel Rudaz abordent l’ensemble des thèmes qui ont jalonné l’année politique, sociétale, écologique mais aussi quotidienne de la cité. Tout commence de manière évidemment improbable, lorsque le public se voit accueilli par un… Gilet Jaune. Un vrai de vrai, promis ! Le hic ? Il s’est visiblement trompé de salle et croit que nous sommes les participants d’une manifestation qui s’avère imminente. Sifflet à l’appui, liste de slogans en main, il tente de nous inculquer le B.A.-BA du parfait manifestant – hélas, ses tics et ses tocs le trahissent, rendant son discours à la fois cocasse et incohérent. D’abord agaçant car trop improbable, ce personnage caricatural incarné par Pierre Aucaigne devient vite attachant et constitue le fil rouge de la Revue, liant les numéros entre eux grâce à ses intermèdes. Véritable contre-pitre (ce clown cocasse et maladroit qui sert de contre-pied au sérieux Auguste), il amène une touche de naïveté et d’enfance, sous ses dehors franchouillards et militants.

Enfin, le rideau rouge se lève. Sur la scène se découpent des écrans lumineux et amovibles. Ils forment l’arrière-fond coloré de la Revue, l’ancrage visuel qui donne du relief aux décors qui défileront, selon les tableaux. Tout commence sur les trottoirs du pont du Mont-Blanc, aussi encombrés que la route : si l’on y chante comme dans les comédies musicales des années 50, on n’y circule pas mieux qu’à Paris puisqu’à Genève, la mobilité douce (comprenez par là vélos, trottinettes et autres déambulateurs à piétons) n’a de douceur que le nom. Après cette entrée en matière qui pose les Genevois dans leur meilleur rôle (gueulard, énervé et un tantinet de mauvaise foi), les scènes s’enchaînent et ne se ressemblent pas. De grands moments, en vrac : Salerno tentant en vain de ramener l’ordre parmi ses « chers collègues » (qui, en plus de traîner plus de casseroles que le rayon « Cuisine » de chez Ikea, se conduisent comme des enfants en primaire : mention spéciale pour les boulettes de papier de Pierre Maudet et les running gags involontaires d’Esther Alder !) ; la faune de la plage des Eaux-Vives (heureusement que la statue de la Bise, autre symbole genevois, est là pour y mettre un peu d’ordre !) ; la grève des femmes dans les maternités (accoucher ou ne pas accoucher le 14 juin ? telle est la question !) ; Maya l’abeille shootée au Roundup (merci Monsanto !) ; les flics corrompus des Pâquis (la maison Poulaga n’a jamais aussi bien porté son nom, quand les poules en hauts talons y défilent)… mais surtout, surtout, cette scène mythique où Pierre Maudet, pendu à une croix et portant la couronne d’épines, bat sa coulpe sans que son parti s’en émeuve – le tout, sur un éclairage qui évoque un chamarrage de vitrail. Vous l’aurez compris : la Revue 2019, c’est tout un programme !

Mais la Revue, les habitués le savent bien, ce n’est pas seulement l’actualité ; c’est également un spectacle complet et interdisciplinaire. Et pour moi qui découvrais cette édition 2019, c’est sans doute la plus belle surprise. On rit beaucoup, certes – ce qui fait oublier que la performance est plurielle : jeu, chant, danse, tout se mêle avec un brio que l’humour corrosif camouffle souvent. Les acteurs sont portés par une musique arrangée par Nicolas Hafner (qui réserve de jolis moments jazzy et des airs qui restent dans la tête !) : on croise ainsi Les Demoiselles de Rochefort, Starmania ou encore le Vol du Bourdon. Côté chant, un gros coup de cœur pour Mado Sierro et sa voix si prenante. Il faudrait également parler des chorégraphies, entre modern jazz et cabaret, ou encore des costumes, tantôt ancrés dans le quotidien, tantôt clins d’œil cinématographique (comme dans la scène du CEVA, où les passagères en imper et pébroques évoquent Les Parapluies de Cherbourg et Chantons sous la pluie), tantôt caricatures (Maudet en Christ), tantôt enfantins (avec Maya l’abeille)… ou diablement irrévérencieux (indice : si vous n’avez jamais vu Pascal Couchepin déguisé en appareil génital masculin, c’est le moment d’ouvrir grand les yeux !).

Bref, vous l’aurez compris : la Revue 2019 est à voir… et à REVOIR, si on en a l’opportunité ! Car, comme dit le proverbe : riez, riez, c’est bon pour la santé ! Chapeau bas, les artistes, et bonne suite jusqu’au 31 décembre !

Magali Bossi

Infos pratiques :

La Revue 2019 : Tous pourris rire !, du 11 octobre au 31 décembre 2019 au Casino-Théâtre.

Mise en scène : Antony Mettler

Textes: Antony Mettler, Laurent Nicolet, Vincent Kohler et Lionel Rudaz

Chorégraphe : Michaël Leduc

Arrangements musicaux et direction d’orchestre : Nicolas Haffner

Avec Capucine Lhemanne, Fautine Jenny, Mado Sierro, Laurent Nicolet, Jean-Alexandre Blanchet, Pierre Aucaigne, Pierre-André Sand, Vincent Kohler et Arnaud Denissel

Danseuses : Caroline Février, Virginie Gevar, Doriane Dufresne, Eugénie Burine, Sandra Marchand et Marie Berard

https://www.larevue.ch

Photo : ©Magali Bossi

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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