Comment survivre à l'été ?La fontaine : divers

Comment Survivre à l’été : 1 — Summer Movies

L’été c’est avant toute chose un désir. Et même plus qu’un désir, une exigence. On exige tellement de choses de soi et de sa propre vie, on veut éviter tant de regrets ; pouvoir tout faire, tout voir, et ne passer à côté de rien. Alors on s’échine à trouver le moyen de réussir sa vie, son mariage, ses études. Et son été, aussi. Mais qu’est-ce que ça signifie, au fond, réussir son été ?

Survivre à la période estivale c’est donc avant tout survivre au poids de nos propres exigences. Et pour ce faire, il faudrait parvenir à remonter jusqu’aux origines de celles-ci. Sans doute se cachent-elles parmi un agglomérat d’objets issus de cultures cinématographiques, musicales, ou encore littéraires, ayant dessiné les contours de l’été idéal avec quelques thèmes récurrents. Pour ma part, mes soupçons se sont très rapidement tournés vers un type de films qu’on appelle communément Summer Movies.

Afin de régler la question une fois pour toutes, je me suis replongé dans cette filmographie aux titres peu variés, où se côtoient régulièrement les mots « été », « dernier » et « cœur ». Pour des questions de réalisme, on dira qu’il fait chaud, sans quoi ce n’est pas vraiment l’été.

Stores semi-baissés, salon clair-obscur. Assez de lumière pour savoir qu’il fait encore jour, et le reste dans l’ombre, pour ne pas étouffer. C’est déjà l’été mais on tarde à le vivre. Quelque chose aura lieu, peut-être, mais en attendant on regarde des gens qui n’existent pas nous parler de l’été qu’on devrait avoir. L’été qu’on ne vivra pas.

Toudouummm.

Musique pop. Voix off pour récit rétrospectif.

C’est un été charnière, où rien ne sera jamais plus comme avant, dont on sait qu’il y aura un avant, et un après. Très souvent, c’est le dernier été avant la fac’. Et quel été ça aura été, dit la voix. Musique pop, plans bon marché au drone. Titre. Et voilà, rien que ça. Bon courage pour être à la hauteur.

C’est un été où la solitude n’a pas lieu, un été qui rime continuellement avec collectif. Personne n’est jamais seul. Et si le protagoniste est isolé à l’ouverture, c’est qu’il trouvera quelqu’un, et sans trop d’inquiétude, dans les dix prochaines minutes. La question ne se pose même pas plus que ça. Ces films résolvent sans peine un des enjeux principaux de la plupart des étés : trouver quelqu’un, peu importe qui — n’importe qui d’autre que soi-même. Les rencontres s’enchaînent naturellement ; eux apportent leur linge de bain, l’été se charge du reste. Et tout va bien.

C’est un été qui s’épargne les heures d’ennui, les heures sombres, et l’absence narrative. Du moment où le/la protagoniste entre dans le champ, l’été a lieu, et juillet-août se déroule sans accrocs ni latences. Si le traitement se veut réaliste, il tente brièvement de mettre en place des moments de hauts et de bas, pour un semblant de complexité humaine, mais ne s’acharne pas davantage. C’est l’été, c’est l’été. Tout pourra se résoudre dans l’enthousiasme commun, et pour la beauté de l’art.

Le premier jour, on sillonne des longues routes américaines dans une grosse voiture rouge. On sort la tête de la voiture et on crie wouhou. Et parfois, avec un peu de chance, le film vire ensuite de bord, et fait massacrer tous les personnages dans un camping de forêt peu recommandable. Mais normalement on le voit venir, et ce n’est pas le sujet. Donc, le premier jour, si on est en avance, déjà sur place, on suit l’arrivée du/de la protagoniste dans un travelling entre les parasols. Très souvent le personnage est assez introverti, porte des lunettes, une petite chemise de plage, et tient sous son bras un gros livre (qu’il compte bien terminer avant la fin du mois). Ensuite surviennent les rencontres, sur des prétextes peu élaborés ; un ballon de volley le heurte, il s’est fait de nouveaux amis.

Puis l’été suit son cours, et on est bien obligé de le vivre, nous aussi, aux côtés de notre personnage. Parce que c’est quand même beau ; aussi futile soit cet été-là, il touche à nos sentiments les plus sincères. Et le temps d’une séquence, on s’abandonne à ce soleil artificiel, pour le geste.

Musique pop. Et le temps passe toujours trop vite.

Ici comme là-bas, dans ces diégèses de carton-pâte.

Il y a un moment où tout le monde rit. Gros fou-rire avec toute l’équipe, bras-dessus bras-dessous, serrés dans un plan moyen. Il y a un moment plus calme, sur une jetée, en effectif réduit, à une heure où le soleil est bas. Discussion « profonde », intro ou rétrospective. Piano tout doux. Puis il y a un moment où le soleil remonte, avec musique pop, encore, toujours. Il y a un moment où il fait n’importe quoi, lui, ou elle, peu importe. Il ne pensait pas, elle ne voulait pas, ce n’est pas ce qu’il croit, elle se trompe. Tension maximale, quiproquo. Il y a un moment où la douleur émerge des eaux calmes de cet été, mais elle ne dure pas, elle ne tient pas. Il y a un moment où quelqu’un fixe un rendez-vous à quelqu’un d’autre. Il y a un mauvais perdant dans une partie de ballon. Il y a un moment où le personnage légèrement intello devient absolument beau-gosse ; il lui suffit d’enlever ses lunettes et de ne plus jamais les remettre. Son caractère change drastiquement, on n’a jamais vu plus extraverti. Il y a deux jours et trois nuits, et deux mois en suggestion. Il y a un milieu, un début et une fin. Ça commence, ça se termine. Voilà.

Le dernier jour il pleut. Il faut toujours qu’il pleuve en clôture des plus beaux étés. Un dernier mot, cruel, un orage. Et la pluie. La voiture redémarre, et plus personne ne crie wouhou, et les fenêtres sont closes. On remet nos lunettes de vues, on retourne aux décors du début, nos maisons, nos solitudes respectives. Nos morts dans l’âme.

Fondu au noir.

Quelques jours ont passé, chacun reprend sa vie, la vraie. Plans sur des universités, des personnages qui sortent la tête de leurs casiers et marchent énergiquement vers leurs amphithéâtres. La voix off reprend. Elle dit quelque chose de très général sur le fait d’avancer dans la vie, de garder des souvenirs, etc. Le film se termine dans les lumières du septembre californien, sur un ton joyeux qui n’aura pas été long à retrouver. Fin.

Retour au salon, à la simplicité d’une existence sans voix off apparente. Et naissance d’impulsions mimétiques, d’envies de copier, de confusions relatives entre monde et fiction. Si la réalité est la somme des récits qu’on lui prête, alors cet été-là — avec ses « cœur » et « dernier » et « summer » — est un été possible. Et pourtant on ne le vivra pas tel quel. Inadéquation ancestrale entre désir et réalité, frustration, spleen. Paysage tragique, fossé infranchissable, le summer movie et moi.

Ni travellings, ni dé-myopie subite, ni passage magique d’intro- à extraverti, ni musique pop, ni voix off, ni heurts systématiques de ballons de l’amitié ; dans la réalité que l’on retrouve, le monde ne tourne pas dans le même sens. Le temps passe, et parfois il est long, et parfois personne ne vient, jamais. Et parfois il pleut tout le long, pour faire beau juste à la fin, pour rien. Parce que c’est comme ça.

On ne veut pas finir l’été sur un sentiment d’incomplétude, et les summer movies mettent la barre trop haut. Ce n’est pas du jeu. Tout y est si parfaitement dosé, de l’intensité à l’amitié, des quelques gouttes de tristesse aux amours saisonniers, et la musique, et le temps, et la possibilité de tout faire avant la fin, avant la pluie. Dans nos calculs fragiles du trop et du pas assez, dans nos solitudes, nos contretemps, nos intempéries, il y a pourtant une lueur d’espoir ; la possibilité de trouver autant d’alternatives qu’on puisse imaginer. Les summer movies guys n’ont que la perfection à se mettre sous la dent, et une vie condensée d’une heure trente, nous en avons bien plus.

Puisqu’il ne s’agit pas d’attendre qu’un ballon nous tombe sur la tête pour réussir son été, on trouvera autre chose. Ainsi, je me propose de publier chaque vendredi de juillet et d’août un nouvel article de ma chronique Comment Survivre à l’été ; une chronique qui tentera d’approfondir quelques questions propres à la saison, dans ses bons et moins bons côtés.

Luca Leone

Photo : générée par IA

PS: Un parfait exemple de Summer Movie, dont le titre est inspiré d’une chanson du groupe italien « Thegiornalisti » :  Sotto il sole di Riccione (Antonio Usbergo, Niccolò Celaia, 2020), disponible sur Netflix.

Luca Leone

Luca Leone est un artiste genevois, à la fois auteur, compositeur, interprète, mais aussi comédien et metteur en scène. Il explore ici des alternatives à l’approche journalistique en proposant de rencontrer des artistes le matin tôt, juste avant l’aube.

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