Danse pour un cowboy solitaire
Une silhouette vêtue de noir… le pincement d’une corde de guitare… des mouvements à l’ondulation hypnotique… et une voix à l’accent qui évoque les grandes plaines… bienvenue dans Dead horse in a bathtub, un seul-en-scène dansé fascinant interprété par Nicolas Cantillon. À voir du 20 au 29 novembre aux Scènes du Grütli (Scène du Haut).
Enfant, qui n’a pas joué aux cow-boys et aux Indiens ? Qui n’a pas sifflé au son de l’harmonica d’Ennio Morricone ? Rêvé devant un album de Lucky Luke ? C’est à ces souvenirs d’enfances que la dernière création de Nicolas Cantillon et de la Cie 7273 fait directement écho. Tout commence dans le noir complet. En voix off, deux enfants discutent – comme iels pourraient le faire dans une cour de récréation. Déjà, leurs mots convoquent des images familières, qui font remonter des souvenirs plus ou moins proches, plus ou moins lointains. Qui étaient les cow-boys, ces êtres libres, mi-humains, mi-chevaux ? Une réalité historique tangible ? Un fantasme de liberté ? Un rêve qu’Hollywood a édulcoré à force de le rendre désirable, héroïque ?
Sans doute un peu de tout ça.
Quand Lucky Luke danse
Dead horse in a bathtub étonne d’abord par son aspect graphique. À peine les voix éteintes, une lumière blanche, tranchante comme un coup de pistolet dans l’air, découpe une haute silhouette : celle de Nicolas Cantillon. Ses bras sont arqués à ses côtés dans la pose de celui qui va saisir son arme ; ses jambes écartées comme s’il venait de descendre de selle. Il porte des bottes, un chapeau aux larges bords, un gilet sur une chemise, un jean serré. Tout de noir vêtu, ce n’est qu’une silhouette immobile que la lumière construit comme une ombre. On dirait un portrait de Lucky Luke à l’encre de Chine – d’ailleurs, il en a la fluidité du trait. Puis la silhouette se met à bouger.
Mouvements lents, au ralenti. Une scène de tirs, de combat, de duel. Un western – entièrement silencieux, ce qui permet de concentrer tout l’attention sur la recherche fluide du mouvement. L’oscillation du corps est hypnotique… ce qui n’a rien d’étonnant. Depuis 2003, au sein de la Cie 7273, les chorégraphes Nicolas Cantillon et Laurence Yadi inventent un style de danse inspiré par les modes de la musique arabe, construits sur des quarts de ton absent des mélodies occidentales. Cette danse a un nom : Multi style FuittFuitt. Elle a pour particularité de transposer l’effet musical des maquâms (type d’improvisation propre à la musique savante arabe) aux mouvements du corps – ce qui confère à la danse des mouvements fluides, entrelacés dans une ondulation qui ne s’arrête jamais. La technique s’adapte totalement au propos de Dead horse in a bathtub : paradoxalement, on y retrouve le mouvement du dessin de Morris, lorsqu’il croque la silhouette à la fois nerveuse et détendue de Lucky Luke, le cowboy qui tire plus vite que son ombre.

Entre fable et rhythm’n’blues
Dead horse in a bathtub se déploie également à travers la musique. Car Nicolas Cantillon ne se contente pas seulement de danser : il s’empare également d’une guitare pour improviser sur des airs de rhythm’n’blues. Assis, la tête penchée en avant, les traits presque entièrement dissimulés par son couvre-chef, il incarne parfaitement la mélancolie du cowboy – obligé de se frotter à l’humanité pour gagner sa vie, mais avant tout amoureux des espaces vierges où tout semble possible. À ses pieds, une armada de boîtiers, câbles, pédaliers attendent en clignotant. Clac ! D’un coup de bottes (comme on donnerait un coup d’éperon à sa monture), voici notre cowboy qui crée une boucle de basse, sur laquelle il poursuit son improvisation. Peu à peu, la musique dessine un paysage, bien mieux que pourrait le faire un plan large au cinéma – car c’est notre imaginaire qui construit la scène. S’y ajoute, par bribes, une fable toute simple. Narrée par une voix-off à l’accent traînant et rocailleux, elle parcourt le destin de ce cowboy solitaire qui danse, joue, chante parfois devant nous. Existe-t-il vraiment ? Et les hommes qui le poursuivent ? Et les animaux avec lesquels il interagit – serpent, oiseau, bison ? Et le cheval mort dans la baignoire, que le texte en voix-off évoque ?… Peut-être n’existe-t-il pas, ou alors, seulement dans l’imagination d’un petit garçon qui joue aux cowboys et aux Indiens. Cela le rend-il moins réel pour autant ?
Magali Bossi
Infos pratiques :
Dead horse in a bathtub, sur un texte d’Alan Bishop et Nicolas Cantillon, du 20 au 29 novembre 2025 aux Scènes du Grütli (Scène du Haut).
Chorégraphie, concept, musique et interprétation : Nicolas Cantillon
Regard extérieur : Laurence Yadi
Création lumière : Arnaud Viala
Collaboration artistique : Vincent Hänni, Vahid Gholami et Alan Bishop
Narration : Alan Bishop, Tom Cantillon-Yadi et Liya Cantillon-Yadi
https://grutli.ch/spectacle/dead-horse-in-a-bathtub
Photos : © Magali Dougados
