DREAMERS : des rêves trop facilement déçus
Qui n’a jamais entendu parler, et même voulu sauter le pas, de l’American Dream ? Carlos, arrivé à l’âge de 8 ans du Mexique, raconte son parcours d’immigré et sa peur constante de l’expulsion, dans DREAMERS, le nouveau documentaire de Stéphanie Barbey et Luc Peter.
Avec une esthétique tout en noir et blanc, DREAMERS s’appuie sur la voix off de Carlos, qui sera le narrateur de son histoire. Il nous raconte tout, depuis son arrivée alors qu’il était un jeune garçon, et la manière dont il se sent Américain, sans pour autant avoir le statut légal qui va avec. Comme plus de deux millions d’autres personnes, il est un dreamer, un de ces Mexicains venus aux États-Unis en quête d’un avenir meilleur, mais dont le statut ne le permet pas véritablement. Les déboires s’enchaînent pour Carlos : expulsion de son père, départ du frère après avoir fait partie de gangs et avoir dealé de la drogue, l’impossibilité de l’octroi d’une bourse à l’université, à cause de l’absence de sécurité sociale… Chaque fois que l’espoir renaît, Carlos doit malheureusement déchanter…
Monochrome, à l’image comme dans le cœur
Le choix du noir et blanc permet de se concentrer sur l’essentiel : en tant que spectateur·ice, notre regard n’est jamais distrait par les couleurs. Si bien que l’on fait plus attention aux détails, à commencer par le regard et les expressions faciales de Carlos. Car dans leur réalisation, Stéphanie Barbey et Luc Peter procèdent à grand renfort de plans rapprochés, sur le visage de Carlos, alors qu’il raconte son histoire. On assiste ainsi à un véritable ascenseur émotionnel constant : lorsqu’il pense que son niveau au football va l’aider à obtenir une bourse et subvenir aux besoins de sa famille, voilà qu’elle lui est refusée, car il n’a pas de numéro de sécurité sociale. Lorsqu’il se marie et annonce à sa famille qu’il va bientôt être père, la menace de l’expulsion est toujours présente. Cette épée de Damoclès, qui plane constamment au-dessus de sa tête, crée chez Carlos une peur constante.
Ce n’est pas une vie, plutôt une demi-vie. Financièrement, la situation est compliquée par son statut, puisqu’il doit, comme de nombreux travailleurs dits illégaux, travailler au noir en enchaînant de nombreux petits boulots. Carlos ne peut ainsi jamais pleinement s’épanouir, même si de nombreux moments de joie égrènent sa vie, avec des traces d’espoir bien présentes. Le choix du noir et blanc prend alors une dimensions toute symbolique, car, comme à l’image, sa vie n’est jamais en pleine couleur. La distance avec son frère le pèse et ne l’aide pas. Et même s’ils s’appellent souvent, dans des scènes particulièrement touchantes, entre français et anglais, avec une émotion palpable dans les yeux de Carlos, jamais Jorge ne pourra revenir aux États-Unis. Il n’assistera pas au mariage de Carlos, ne verra pas la naissance de son enfant, ne pourra dire adieu à sa mère… Un destin bien tragique !
Un film intimiste, entre espoir et fatalisme
La narration faite par Carlos permet une focalisation sur lui, mais aussi à partir de lui, comme on pourrait le dire en narratologie. Cela crée une dimension intimiste et une entrée en totale empathie avec cet homme que la vie n’épargne pas. On le suit dans ses espoirs, dans ses déceptions, dans une oscillation constante, mais avec toujours, en filigrane, la volonté d’aider et de soutenir sa famille du mieux qu’il peut. L’espoir est ainsi, malgré les apparences, souvent présent : un gros gain d’argent grâce à une carrière dans le football, l’achat d’une maison avec un grand terrain pour pouvoir recevoir toute sa famille et partager des moments de liesse…
Avec ces moments contrastent d’autres passages, où la réalité vient frapper Carlos en pleine face. Il sait pertinemment que sa situation n’évoluera jamais et que la peur de l’expulsion le guettera sans arrêt, durant toute sa vie. Et bien qu’il fasse constamment attention, il ne doit pas pour autant s’arrêter de vivre, et semble avoir accepté son sort. Ce fatalisme, qui a fini par le gagner, nous brise le cœur. Jusqu’à ce que le texte final ne vienne en rajouter une couche, en nous informant que l’histoire de Carlos est aussi celle de plus de deux millions et demi de Mexicain·e·s. Sans compter toutes celles et ceux qui viennent d’ailleurs. On relativise alors ce qu’on nous a vendu sur les États-Unis, le pays de la liberté, où tout est possible. Tout est possible, oui, pour autant qu’on remplisse certaines conditions et critères. Comme quoi, les inégalités et certaines traditions ont la vie dure…
Fabien Imhof
Référence :
DREAMERS, réalisé par Stéphanie Barbey et Luc Peter, Suisse – Allemagne, sortie en salles le 9 octobre 2024.
Photos : ©Intermezzofilms