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Du jardin des plantes au jardin secret

 « J’ai toujours aimé les artistes, ils savent voir ce qui n’est pas encore et ce qui pourrait être. » (« Songes d’albâtre » – p. 174)

Au fond du jardin… Voici le sujet proposé par les Éditions Encre Fraîche pour l’édition 2015 de son concours littéraire. Les 17 meilleures nouvelles ont été retenues pour être publiées l’an dernier dans un ouvrage collectif, qui emmène le lecteur dans le jardin de chacun des auteurs. Jardin des plantes, jardin secret, jardin familial, secrets enfouis au fond de son jardin… ces 17 balades vous feront à coup sûr voyager. L’amour, la mort, l’homosexualité, la science-fiction, le souvenir… de nombreux thèmes sont abordés à travers ces historiettes.

Au fond du jardin… il y a d’abord les rapports humains. Ils sont au centre de plusieurs nouvelles, souvent en lien avec la maladie. Ainsi, l’on peut suivre un frère qui emmène sa sœur réaliser son rêve, pour tenter de la soigner, dans « Flocon de neige ». La maladie, c’est aussi un sujet évoqué dans « Au fond du jardin, il y a », où un adolescent tente de faire garder l’espoir à son petit frère malade, en lui racontant les mystères que le fond de leur jardin abrite. Dans « deux brodequins crottés », c’est la relation avec un frère handicapé que raconte Bluette Staeger, alors que Sandrine Morier narre l’autisme dans « Melissa » par le regard d’une mère qui fait tout son possible, face à une enfant qui ne comprend pas le monde dans lequel elle vit. Enfin, dans « Songes d’albâtre » c’est une patiente atteinte d’Alzheimer qui parle, à travers la touchante plume de d’Auréline Salmon.

Mais, dans les rapports humains, il est aussi question d’amour. Amour d’enfance, d’abord avec « Le banquet d’Émile », amour face aux épreuves de la vie ensuite, dans « Valse de l’adieu », amour charnel aussi, avec « Bailando », amour honteux enfin, à travers l’expérience homosexuelle d’un jeune homme qui a peur du regard des autres, dans « Il faut que je te raconte ».

« J’ai rouvert les yeux. Je me suis redressé. Puis j’ai posé mon bras droit sur son épaule. Nous nous sommes embrassés très doucement. Et je me suis mis à pleurer. » (« Sous l’ombre d’une belle fleur » – p. 23)

L’amour, c’est aussi le souvenir. C’est ainsi que débute le recueil, dans « Sous l’ombre d’une belle fleur », dans le récit que fait un soldat italien à son neveu, et sa rencontre avec une femme, issue du camp adverse, durant la Première Guerre Mondiale. Le souvenir, on le retrouve également dans « Nous nous embrasserons au-delà de la tombe », une touchante déclaration d’amour qui promet que l’amour dure encore après la mort. Le souvenir et l’amour existent aussi entre sœurs. Dans « Côté cour/côté jardin », une grande cheffe d’orchestre, adulée de tous, retrouve les plus bas instincts humains, alors que sa sœur est morte, et qu’elle ne parvient pas à refaire surface. Lui reste alors le souvenir…

Ce souvenir peut aussi hanter la mémoire. C’est le cas dans « Le bois, les os, la chair », où un jeune homme fait chaque nuit le même cauchemar : il revoit la mort de sa mère en se demandant s’il aurait pu la sauver en étant là, ce soir-là… Le souvenir peut enfin être inavouable, comme dans « Anna », où nous suivons la transformation de Georges, tombé amoureux de la beauté d’Anna, jusqu’à devenir cette femme qu’il admirait…

Enfin, Au fond du jardin…on trouve quelques surprises : du parcours d’un comédienne de théâtre, admirée pour sa prestation dans « Le jardin d’Épicure » à une utopie apocalyptique, où le jardin n’existe plus, ou presque, dans « La serre », jusqu’à l’expérience de pensée de « Au pic et à la pelle », ultime nouvelle dans laquelle tout est renversé, creusé, de la parole aux codes de la langue, de la pensée aux réflexions du narrateur…

« Pardon belle Kerguelen. Je ne peux plus vivre dans ce demi-monde. Je préfère partir. Je t’attendrai au-delà de l’hiver austral. Surtout, ne viens pas trop vite, j’ai tout mon temps. Je serai toujours avec toi, et mieux demain qu’aujourd’hui. Vis, je t’en prie.

Avec amour. P.

Ps : Je sais que tu ne t’es pas débarrassée de Fazz. Merci pour lui. » (« Valse de l’adieu » – p. 172)

Au final, en poussant la porte au fond du jardin…on entre dans l’espace intime de tous ces auteurs, de toutes ces plumes, qui partagent la passion de l’écriture. On se sent parfois un peu voyeur, on hésite à aller plus loin, de peur d’entrer dans une intimité qui ne nous regarde pas. Et puis, on continue, comme un plaisir coupable, par curiosité, par cette envie irrésistible d’en savoir plus. On est touché par l’univers des autres, par leurs histoires, par l’émotion qui sort de leurs plumes.

Fabien Imhof

Référence : Au fond du jardin…, Concours littéraire des Éditions Encre Fraîche, Éditions Encre Fraîche, 2016, 248 p.

Photos : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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