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Encres alliées : une création à plusieurs mains (épisode 2)

Encres alliées, c’est un projet de création pluridisciplinaire. Neuf volets, neufs univers, entre textes, musiques, illustrations et lecture. À découvrir régulièrement sur Youtube, où que vous soyez.

En cette période d’incertitude sanitaire, la création n’a pas dit son dernier mot. Paul Castellano, étudiant à l’Institut littéraire suisse de Bienne, a réuni des auteur.e.s, des illustrateur.trice.s, des musicien.ne.s et des lecteur.trice.s. Son projet ? Créer ensemble, en mêlant texte, musique, lecture et dessin. Les Encres alliées vous proposent ainsi de découvrir, au fil des semaines, neuf univers différents.

Le deuxième épisode a pour titre « Dix-neuf ». Il réunit Zoé Borbély (texte), Françoise Gautier (lecture), Paul Castellano alias Lupa (musique) et Maria Cristina Ionescu (illustration). Comment ces artistes ont-ils créé ensemble ?

La Pépinière : Bonjour à vous quatre ! « Dix-neuf »… pourquoi un tel titre ? Zoé Borbély, dites-nous-en plus…

Zoé Borbély : Les premières phrases naissent lors d’un atelier de l’Institut littéraire suisse. Le cours se fait à distance, le confinement a commencé, je suis chez moi, on doit écrire à partir d’une photographie. Les phrases sortent au goutte-à-goutte, du confinement, d’être obligée de faire face à soi-même, aux blessures. Je veux donner une voix à l’intime, à la guérison. Je voudrais donner des images qui peuvent toucher les femmes, nous consoler. J’ai rallongé et j’ai retravaillé le texte pour ce podcast.

La Pépinière : Après l’écriture du texte, il a fallu le mettre en voix – lui donner une existence sonore. Cette voix, c’est Françoise Gautier qui l’incarne. Comment avez-vous procédé ?

Françoise Gautier : J’ai d’abord commencé par lire le texte pour moi. C’est un peu comme quand on entre dans une pièce pour la première fois : il y a plusieurs informations à saisir. Elles s’inscrivent en nous petit à petit, il faut capter le parcours, les couleurs, l’espace… Puis, en le relisant, il y a des choses que l’on avait pas remarqué au premier abord qui apparaissent… on réalise qu’il y a plusieurs couches de significations. Un jeu commence alors à naître ; tel un explorateur ou un archéologue, on se demande quelles ont été les intentions de l’auteur derrière telle ou telle phrase. Â certains endroits, j’ai eu besoin d’être éclairée par l’autrice en question, que j’ai appelée et à qui j’ai pu poser mes questions. Les recoins encore obscurcis se sont donc éclairés, et j’ai pu passer à l’étape de l’interprétation. La lecture se fait alors à voix haute, plusieurs fois. On essaie de mastiquer les mots, leur donner une « physicalité » ; on les place dans l’espace devant soi. Puis on s’approprie le signifié, l’histoire qui est racontée, en allant chercher où cela résonne en soi.

Je savais qu’il y aurait une musique composée pour ce texte, mais elle est arrivée dans un second temps. Par conséquent, je n’ai pas travaillé avec la musique que l’on peut entendre sur l’enregistrement : je me suis donc imaginé cette musique. J’ai travaillé au métronome pour trouver le rythme qui se cachait derrière les mots. En lisant, j’ai essayé de laisser de l’espace aux mots, pour que la musique puisse y résonner. Je l’imaginais comme un partenaire invisible avec qui j’avais à dialoguer. Puis j’ai enregistré dans ma chambre avec mon micro et j’ai envoyé le tout, pour que le texte soit ensuite mis en musique par Paul. Je n’ai vu l’illustration que plus tard ; elle n’a donc pas fait partie du processus créatif de la lecture.

La Pépinière : Cette musique imaginée par Françoise, comment est-elle née ?

Paul Castellano (alias Lupa) : Tant dans le texte de Zoé que dans la lecture de Françoise, j’ai ressenti une pulsation rythmique. C’est pour ça que l’accompagnement harmonique est principalement mené par un piano électrique, avec un arpège. Les percussions sont plus proches d’une batterie trap moderne (une batterie plate qui peut facilement être déplacée), avec un hi-hat (ou charleston) plus aigu et une basse 808 (un séquenceur électronique de basse) qui vient asseoir le tout. Ce texte évoque pour moi réalité rude, douloureuse, ainsi que le fait de vouloir trouver du sens dans / par la poésie – peut-être de s’échapper grâce à elle ? C’est un contraste que j’ai voulu accentuer, entre la légèreté mélancolique de la mélodie et l’aspect plus sombre et pesant de la section rythmique. J’ai également laissé des parties sans musique. La voix de Françoise et le texte de Zoé avaient une puissance crue qui pouvait mieux s’exprimer dans le silence.

La Pépinière : Dernier élément fondamental du projet, l’illustration fait basculer le texte du côté du visuel. Maria Cristina Ionescu, comment avez-vous procédé ?

Maria Cristina Ionescu : J’ai illustré le texte de Zoé Borbély. Pour moi, dans ce cas-là, ce sont des images qui se tissent au fur et à mesure de la lecture qui m’aident – comme un film qui se crée, des paysages, des créatures qui se transforment, se déforment, se reforment… Plutôt que d’essayer de me fixer sur des mots spécifiques, sur un moment précis, j’essaie d’intégrer, en moi, une atmosphère, une sensation. Bien sûr, j’emmagasine certains mots ; ils s’accrochent à ma pensée… mais au moment du travail, c’est l’atmosphère dans laquelle le texte me baigne qui compte. À la force évocatrice du mot, j’essaie alors d’ajouter la force évocatrice de la forme…

La Pépinière : Merci à vous pour ces réponses ! Et bon vent au projet Encres alliées !

Propos recueillis par Magali Bossi

 Photo : ©Maria Cristina Ionescu

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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