Les réverbères : arts vivants

Et si le monde était plus beau maintenant ?

Du 14 au 16 janvier, Meyrin Culture accueille L’École Parallèle Imaginaire (EPI) au Forum Meyrin, pour Le Beau Monde, un hommage à nos rituels dont on n’a pas toujours conscience. Un parcours hilarant dans les fragments de notre mémoire collective.

L’entrée du public se fait sur la scène, dans un hémicycle en bois, pendant que les trois comédien·ne·s (Arthur Amard, Rémi Fortin et Blanche Ripoche) attendent dans les fauteuils de la salle. Et pour cause : nous voici projeté·e·s dans le futur – on ne sait en quelle année, mais qu’importe – dans la reconstruction du Théâtre Forum Meyrin tel qu’il était au 21ème siècle. Nous allons assister à un rituel qui a lieu tous les 60 ans : pendant 1h15, les trois comédien·ne·s nous invitent à rejouer 43 des 429 fragments de mémoire qui leur sont parvenus de la civilisation du 21ème siècle. Iels explorent ainsi diverses thématiques comme le théâtre, l’humour, la neige, les desserts, les émotions, les larmes… Iels redisent aussi les enregistrements de certains témoignages de l’époque, tels qu’ils ont été prononcés. Le tout en portant les costumes contemporains… à l’envers ! Eh oui, car si le matériel leur a été transmis, il n’y a pas forcément d’indication sur la manière de faire, et les traditions se transforment ou se perdent avec le temps. L’essentiel est de se souvenir de ce Beau Monde pendant de nombreuses années encore.

Un humour décapant

« Ça pourrait être des Belges ! » s’exclame une spectatrice à la fin de la première. Il est vrai que cet humour décalé, entre absurde, blagues visuelles et poésie leur correspondrait bien. Et pourtant, l’École Parallèle Imaginaire est originaire de Bretagne, avant de devenir un projet nomade qui explore théâtres, musées et autres lieux culturels. De fait, leur scénographie est toute simple : sur le plateau sont disposés des cailloux blancs, qui représentent les différents fragments à explorer. On retrouve également un micro, un mini-synthé et une pédale permettant de modifier les voix durant l’un des fragments. Autant de vestiges d’une époque désormais révolue, mais indispensables à la transmission. Le reste, c’est à leur imaginaire et au nôtre de le créer, avec quelques incursions dans la salle pour nous montrer que l’espace n’est pas restreint.

L’humour, donc, surgit de mille-et-une manières. D’abord, iels utilisent leur corps, à commencer par leur voix. Que ce soit lors du traditionnel avertissement au public ou lors du passage sur le printemps, par exemple, on découvre les talents de chanteur·euse·s des trois acolytes. Le Beau Monde présente aussi une grande dimension corporelle. On pense au fragment sur La Danse des Canards, qui se mêle au Lac des Cygnes, dans une version techno dansée surprenante, ou encore à l’un de nos coups de cœur de la soirée : le passage d’animaux sauvages, et ces magnifiques sauts de cabri – ou de biche – en traversant la scène avant d’aller explorer la salle. Sans oublier les incroyables expressions faciales des trois comédien·ne·s. Mention spéciale à Blanche Ripoche, avec ses jeux de regards et ses mimiques absolument hilarantes. Par moments, la voix se mêle aussi au corps, dans le non-moins hilarant fragment sur les premiers émois, où Blanche Ripoche décrit une scène de séduction, jusqu’au slow et au premier baiser, qu’Arthur Amard et Rémi Fortin tentent de reproduire, non sans peine. Il est vrai que de la description des gestes à leur réalisation, il y a mille interprétations possibles. On retrouve aussi de l’absurde, avec certains fragments qui ne durent qu’une phrase, pour casser le rythme de manière inattendue. D’autres sont plus longs, mais la thématique est tellement détournée que l’effet de surprise n’en est que plus fort. On pense évidemment ici au système de santé par exemple…

Pour en dire long sur notre société

À travers ce spectacle, on ne fait pas que rire. De manière subtile, l’École Parallèle Imaginaire nous invite aussi à réfléchir sur notre société, sans le faire de manière directe et moralisatrice. À commencer par le titre, qui en dit déjà beaucoup : ce qu’on croit beau ne l’est pas forcément toujours. Rappelons-nous de la première occurrence connue de l’expression, en 1662 déjà :

« Ne songez donc pas à vouloir entrer dans le cœur de ceux qui composent le beau monde ; car vous y trouveriez tant de passions differentes, tant de tumulte & tant d’embarras, que vous n’y sçauriez rien connoistre. »[1]

Mais Le Beau Monde raconte aussi le fait que nous n’avons pas conscience que beaucoup de ce qu’on fait est complètement ritualisé, à commencer par le temps, premier fragment évoqué, alors que notre manière de le décompter est plus ou moins arbitraire. Nous vivons avec ces codes, et le décalage comique créé par le regard de cette civilisation future nous le rappelle à travers le rire. Sans critique, au contraire, elle nous rappelle que c’est aussi cet imaginaire commun qui fait société, avec cette dimension du devoir de mémoire. Ce dernier est d’ailleurs remis en cause de manière très intelligente dans le fragment sur la notion de propriété. Le Beau Monde nous invite ainsi à explorer aussi d’autres pistes de réflexion, des manières de faire autrement dans ce qui ne nous convient pas, tout en gardant les traditions auxquelles nous sommes attaché·e·s et qui apportent du positif. On notera enfin la très jolie idée de proposer au public des petits papiers, à la sortie du spectacle, sur lesquels, on peut imaginer d’autres pistes, pour de nouveaux fragments à reproduire. Sur le moment je n’avais pas d’idée, mais je la pose ici : les réseaux sociaux. Il paraît que c’est d’actualité…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le Beau Monde, de L’École Parallèle Imaginaire (EPI), du 14 au 16 janvier 2025 au Théâtre Forum Meyrin.

Mise en scène collective

Avec Arthur Amard, Rémi Fortin et Blanche Ripoche

https://www.meyrinculture.ch/activites/le-beau-monde

Photos : ©Moahamed Charara

[1] Valcroissant fils, L’Usage du beau-monde ou l’Agréable société, chez Guillaume de Luyne, Paris, 1662, page 54.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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