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Ici rien ne va… et c’est parfait

La nouvelle création collective de la Compagnie Naponk est une petite merveille d’inventivité, de poésie et de déconnade assumée sur fond de parodie de comédie musicale. Courez voir Ici rien ne va à l’Orangerie dans le cadre du Festival de la Bâtie jusqu’au 6 septembre. 

Une fête au village, un trio d’amis, deux amoureuses, un amoureux. On s’ennuie. L’une décide de partir… pour mieux revenir… Tout cela en chansons, avec le code des wish song1au début et du 11 o’clock number2 à la fin. On y entend aussi parfois des faux airs de Ben Mazué et souvent la volonté jouissive de caricaturer les standards cul-cul la praline des comédies musicales.  

Dès le début du spectacle, « ça » ne ressemble à rien de connu. Le programme parle d’une production low cost, Claude Ratzé, directeur de la Bâtie, surenchérissant en affirmant que « le peu de moyens est complétement pallié par un talent indéniable ». Il ne croyait pas si bien dire. Rares en effet sont celles et ceux qui peuvent revendiquer l’originalité d’un univers scénique bien à eux. C’est étonnant, bien décalé et très drôle. Mais « ça » se révèle aussi rapidement sensible, profond et poétique, abordant mine de rien des thématiques existentielles : origines, amitié, amour, quête de sens et d’identité, … L’équipage de cet OTNI3 réussit alors un pari qui fait rêver nombre d’entre nous : créer sérieusement sans se prendre au sérieux.  

Le trio d’artistes est tout simplement génial dans sa complémentarité. Pros jusqu’au bout de leurs claquettes, iels chantent, dansent et nous font du bien au cœur et aux zygomatiques une bonne heure durant. Georgia Rushton est époustouflante dans la manière dont elle assume sa liberté de femme voyageuse, tous poils au vent. A l’aise tant pour chanter que pour danser, elle a un sens comique décapant tant dans l’exagération de ses mouvements que dans la générosité de ses mimiques. Clarina Sierro est tout à fait à la hauteur de la bouffonnerie ambiante avec sa coupe au bol et son côté « garçon manqué » en bermudas jaune, chaussettes et mocassins. Quant à Jérémie Nicolet, il cumule les talents avec une polyvalence déconcertante : écriture de l’histoire, composition des musiques et des chansons, jeu clownesque, fin et comique, démonstration de claquettes… ici tout va bien.  

Au fur et à mesure du spectacle, on est de plus en plus séduit par ces trois allumé-es qui nous offrent un formidable antidote à la sinistrose ambiante, ne cédant toutefois à aucun moment à la tentation du divertissement. L’expression des sentiments résonne dans le public : fantasmes, doutes, envies, regrets… Chacun-e peut se reconnaître et transposer cela à sa réalité. Qui n’a pas pensé une fois ou l’autre que cela serait mieux ailleurs ? Qui n’a pas versé dans la mélancolie de nos ancrages premiers, dans ces amitiés aux contours sexuels parfois troubles ? Qui ne s’est pas senti maladroit-e, vulnérable ? Qui n’a pas été déçu-e par l’écart entre le rêve et le quotidien ?    

 

Vous l’aurez compris, une des marques de fabrique du collectif Naponk est d’explorer des formes artistiques à la croisée du théâtre, de la musique et de la danse. Plus facile à dire qu’à faire. Et pourtant, l’alchimie fonctionne ici parfaitement bien. On ne peut qu’applaudir la facilité déconcertante de ce qui se passe sur scène, tout cela ne pouvant être que le résultat d’une discipline et d’une précision très exigeantes pour chaque rouage de la machine. Scénographie et mise en scène dansent d’un même pas, les lumières expressives sont très soignées pour donner le côté kitsch de l’ensemble (les douches aux couleurs des ampoules d’un bal musette sont un plaisir) et l’articulation entre le jeu des acteurices et la bande-son est une prouesse manifeste.  

Cette généreuse création offerte au public dégage ainsi une énergie à nulle autre pareille. La scène est un terrain de jeu et d’expérimentation, on s’y amuse à exagérer le code des leitmotivs, on s’amuse dans des dialogues chantés aussi jouissifs que maladroits, on ose des temps, des contre-rythmes, on assume une certaine nostalgie, l’insouciance perdue des amours débutantes, de la vie qui se cherche…en un mot, on est libres et diantre que cela fait du bien.  

Merci donc à toute l’équipe de Naponk de nous faire vivre un moment fort d’émotions, d’autodérision et de poésie. Légèreté, profondeur, candeur et professionnalisme se marient ici pour faire de ce spectacle une réussite à tous les niveaux. Chapeau bas.  

Stéphane Michaud 

  Infos pratiques :  

Ici rien ne va, de Maude Bovey, Luis Henkes, Yann Hermenjat et Jérémie Nicolet  du 28 août au 6 septembre 2025 au Théâtre de l’Orangerie 

Écriture et composition : Jérémie Nicolet 

Mise en scène : Yann Hermenjat 

Avec Jérémie Nicolet, Georgia Rushton, Clarina Sierro 

https://www.theatreorangerie.ch/events/ici_rien_ne_va  

Photos : @coucoustudio et eden levi am 

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, auteur heureux et metteur en scène chanceux, Stéphane aime prendre son temps grâce à la lecture, à l’écriture et au théâtre. Écrire pour la Pépinière prolonge le plaisir des spectacles.

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