Jeunes Mères – les mères, ces héroïnes
Cinq jeunes adolescentes se retrouvent dans un foyer pour jeunes mères et font face aux défis de leur situation. Les frères Dardenne reviennent avec un film coup de poing et maitrisé.
Au lendemain de la second guerre mondiale, Vittorio De Sica parlait en ces mots de sa génération : « chacun ressentit le désir fou de jeter en l’air toutes les vieilles histoires du cinéma italien, de planter la caméra au milieu de la vie réelle, au milieu de tout ce qui frappait nos yeux atterrés ». Lui, Roberto Rosselini, Giuseppe De Santis pour ne citer que les plus connus allait alors réaliser les œuvres de ce qui allait par la suite être connu comme le mouvement néo-réaliste. Des films sociaux, se concentrant exclusivement sur les classes prolétaires et leurs défis quotidiens et sans fioritures. Leur influence fut telle qu’ils initièrent une nouvelle approche du cinéma. Ils exprimaient une volonté de réaliser des films d’un réalisme cru, sans fioriture, qui s’apparenterait presque à un style de documentaire. Le cinéma des frères Dardenne pourrait à ce titre revendiquer une filiation directe avec ce mouvement. Connus pour leurs thématiques sociales fortes, le duo belge a su s’imposer comme une référence dans ce domaine méritant sa place à côté de Ken Loach ou Nanni Moretti. C’est avec un film se concentrant sur les jeunes mères qu’ils nous reviennent.

« Moi aussi, je pleure »
On y suit la vie de cinq pensionnaires d’un foyer pour enfants mères à Liège : Jessica, Perla, Julie, Naïma et Arianne. Perla (Lucie Laruelle) est abandonnée par son petit ami délinquant et père de son fils. Jessica (Babette Verbeek), abandonnée par sa mère à la naissance, est sur le point de mettre au monde son enfant. Julie (Elsa Houben), ancienne toxicomane, se bat pour s’en sortir avec son compagnon. Arianne (Janaina Alloy), enfant abusée, tente d’échapper à la misère sociale dans laquelle elle a grandie. Naïma est quant à elle la seule qui semble s’en sortir dès le début du film. Toutes âgées entre 14 et 15 ans, elles font face à une maternité pour laquelle elles ne sont pas armées. Tout en affrontant les challenges auxquelles font face les adolescentes de leur âge, elles sont amenées à assumer une charge beaucoup trop lourde pour leurs épaules. On comprend alors l’injustice de leur situation lorsque l’assistante demande à Perla de conforter son fils en pleurs, « moi aussi je pleure ». Trop jeune pour être mère mais obligée de grandir plus vite que les adolescentes de leur âge.
Différent parcours
Jeunes Mères est un film qui prend aux tripes. Caméra à l’épaule, les frères Dardenne nous montrent le quotidien cabossé de ces jeunes filles sans le moindre filtre. On est tour à tour ému et écœuré par leur résilience. Le jeu d’acteur brillant nous fait oublier que l’on a affaire à des actrices et non pas de réelles filles-mères. La richesse de ce film repose aussi dans la pluralité des points de vue, parfois opposés, qu’ont chacune des intervenantes quant à leur maternité. Par exemple, on comprend que Perla voit sa maternité comme une opportunité de se réconcilier avec les abus dont elle a été victime. Arianne au contraire la voit plutôt presque comme un obstacle qui la condamnerait à ne pas pouvoir se libérer de ce même passé abusif. Toutefois ce qui apparaît comme une force peut à certains moments également donner des impressions de faiblesses scénaristique. On a parfois l’impression de rester en surface pour chacune de leur histoire ou bien que la résolution arrive trop rapidement. On pourrait alors se demander si les Dardenne n’aurait peut-être pas mieux fait de se concentrer sur un seul personnage afin de mieux servir leur propos.
L’autre point du film qui pourrait sans doute susciter un débat est le rôle des enfants dans la vie de ces jeunes mères. En effet, si on se rappelle chacune des situations auxquelles font face les mères, leurs enfants eux paraissent presque interchangeables. Au risque de paraître un peu injuste, on serait même presque donner à penser qu’ils ne sont là que comme levier émotionnel. On peine à voir la connexion entre eux et leurs mères en dehors de quelques scènes. On pourrait cependant contre-argumenter et se demander si cela n’était pas volontaire de la part des Dardenne. En effet, le film se concentrant avant tout sur la perspective de la maternité des jeunes filles (encore elle-même des enfants donc), on pourrait se demander si cette approche du rôle de leur enfant ne révèle pas l’incapacité des mères de connecter avec eux et alors de réaliser pleinement leur maternité. On pense alors à Jessica faisant face à son reflet, le regard vide, qui admet ne rien ressentir du tout pour son enfant.

En définitive, Jeunes Mères est film qui comporte certes des imperfections mais qui parvient néanmoins à convaincre par son honnêteté. Si la multiplicité des récits nuit malheureusement un peu à l’ensemble, chacun d’entre eux prend aux tripes. Les Dardenne nous offrent alors une vision dure, mais toujours tendre, de ce sujet de société qui demeure un tabou. Le tout est supporté par des actrices qui sonnent juste et une mise en scène sobre et dynamique.
Alexandre Tonetti
Références :
Jeunes Mères, réalisé par Jean-Pierre et Luc Dardenne, Belgique, sortie en salle le 23 mai 2025.
Avec Elsa Houben, Lucie Laruelle, Babette Verbeek, Janaina Alloy et Samia Hilmi
Photo : © 2025 Les Films du Fleuve – Archipel 35 – The Reunion – France 2 Cinema – Be TV & Orange – Proximus – RTBF (Télévision Belge)
