Un coming of age sensible et authentique
Queer Palme méritée du dernier Festival de Cannes, La petite dernière d’Hafsia Herzi la place en tête des réalisatrices à suivre. En filmant le passage à l’âge adulte de Fatima, lycéenne musulmane qui découvre son amour pour les femmes, le film révèle dans son premier rôle Nadia Melliti, d’une rare authenticité, auréolée du Prix d’interprétation féminine.
La petite dernière d’Hafsia Herzi s’impose comme un film emblématique du coming of age, qui retrace le passage de l’adolescence à l’âge adulte, avec des rituels tels que les premières amours, la quête d’identité, et la remise en question des valeurs familiales et sociales. Adapté du roman éponyme de Fatima Daas, on retrouve à l’écran ces éléments, qui en font un récit d’émancipation sensible et vivifiant dans le paysage cinématographique français. On suit donc Fatima, interprétée par Nadia Melliti, une jeune lycéenne musulmane vivant en banlieue parisienne, dans son passage à la fac de philosophie et sa découverte de son homosexualité, en vivant avec elle ses premières amours, ses questionnements, ses peines et ses joies.

La navigation entre les mondes et les cultures est au cœur du film. Cette confrontation se fait à plusieurs niveaux, d’abord entre le cadre familial et la vie en banlieue, puis la vie étudiante parisienne. Les scènes familiales sont à la fois aimantes et joyeuses, dans la relation de Fatima à sa mère et ses deux sœurs, mais ce carcan est également marqué par le conservatisme des familles nucléaires où les rôles restent très genrés. Après le lycée, c’est un tout autre univers qui s’ouvre à elle, avec les découvertes permises par les applis de rencontre, dont on retiendra un premier date platonique mais cru dans ses explications de la sexualité lesbienne. La vie universitaire est marquée par le vécu de son amour pour les femmes et les fêtes LGBT, jusqu’à en tester les excès et les limites.
Cette dualité existe aussi entre sa foi et l’envie de vivre ses désirs comme elle le souhaite. La scène de confession et demande d’aide auprès de l’imam est symbolique de cette réunification impossible, au vu de l’ancrage patriarcal profond dans la religion qui lui est remis en face. Il s’agira pour Fatima de créer sa propre place, sans renier sa pratique spirituelle ni qui elle est.

La réalisation d’Hafsia Herzi nous offre de belles scènes chorales, notamment la scène de la pride, qui respire la joie et reflète l’apogée de la relation entre Fatima et Ji-Na, son premier amour. Mais on retiendra surtout les plans à la fois intimistes et pudiques qui nous font vivre les dualités intérieures de son personnage central, en filmant les visages en plans serrés pour capter les émotions, sans pour autant se montrer intrusive. L’interprétation de Nadia Melliti est d’une grande justesse, dans ses émotions difficilement contrôlées au début, face à l’homophobie du lycée, et le manque d’air ressenti, illustré par son asthme chronique. Vient ensuite l’épanouissement que lui permet ses nouvelles rencontres à l’université, où elle devient plus maîtresse d’elle-même, consciente de ses désirs et les assumant.
La dernière scène, sûrement la plus bouleversante du film, montre la beauté et la difficulté du rapport entre Fatima et sa mère. En faisant exister ses personnages dans toute leur authenticité et leur ambiguïté, le film ne prétend aucunement résoudre les questionnements identitaires, et ne verse pas dans les clichés liés aux représentations LGBT ou à la vie en banlieue. Cette représentation de la lisière poreuse entre les mondes et les cultures, la possibilité de créer sa propre place, c’est ce qui fait la grande force de La petite dernière.
Léa Crissaud
Référence :
La petite dernière, réalisé par Hafsia Herzi, France, en salles le 22 octobre 2025.
Avec Nadia Melliti, Ji-Min Park, Amina Ben Mohamed
Photos : © June films Katuh
