Les réverbères : arts vivants

Jeunesse en question(s) face à la guerre

La date était symbolique pour la première de Cinq jours en mars. Alors que de nombreuses personnes déambulaient dans les rues pour marquer cette date du 7 octobre, se jouait un spectacle narrant cinq journées de jeunes Japonais-es durant les premiers jours de la guerre en Irak, en 2003. Absurdité, vacuité et violence sont au rendez-vous au Théâtre du Loup, jusqu’au 19 octobre.

Sur la scène d’abord nue, cinq acteur/trices (Antoine Courvoisier, Angelo Dell’Aquila, Fjolla Elezi, Judith Goudal et Ali Lamaadli, alias Acteur 1, 2, 3, 4 et 5) racontent, en se centrant principalement autour de Minobe et Yukki, qui ont passé ces cinq jours dans un love hotel, après s’être rencontré-es à un concert. En parallèle, Azuma, le meilleur ami de Minobe, Suzuki, dont on ne parlera finalement que très peu, et d’autres, suivent une manifestation, fuient la réalité par l’imaginaire, s’interrogent ou déambulent sans véritable but. Bref, ils et elles vivent leur vie, avec toujours en filigrane cette guerre qui vient de débuter, quelque part dans un coin de leur esprit. Évidemment, ce récit fait écho à notre réalité actuelle, d’autant plus en ce 7 octobre. Et de cela découle sans aucun doute une plus grande implication émotionnelle face à ce qui nous est narré.

Jeunesse en détresse ?

Commençons par là où le bât blesse : le texte de Toshiki Okada nous laisse quelque peu sur notre faim, avec quelques faiblesses. Nous le regrettons d’autant plus que la mise en scène de Nadim Ahmed, assisté de Giulia Belet, et le jeu des comédien-nes sont particulièrement convaincants. Le principal bémol est le fait que cette guerre n’apparaisse que trop en filigrane, alors qu’on la pensait au cœur du propos. Elle est évoquée à plusieurs reprises, mais la réflexion des personnages autour d’elle est très (trop ?) peu poussée. L’utilisation de la vidéo vient toutefois nous en rappeler l’existence, parfois même violemment – encore un excellent choix sur lequel nous reviendrons – mais le texte tourne parfois un peu en rond. Le propos reste souvent centré sur Minobe et Yukki, alors que le rythme varie peu. On imagine que tout va décoller lorsqu’une jeune fille, seule dans sa chambre après une nouvelle déception amoureuse, souhaite s’envoler pour Mars et évoque cette envie de fuir la guerre, mais cet élan retombe rapidement.

Cela illustre tout de même une certaine forme de détresse, voire d’impuissance face à des événements géographiquement éloignés et qui dépassent à la fois les acteur/trices et les personnages. Certain-es pourraient y voir une forme de déni – et c’est sans doute vrai pour certains personnages, à l’image de Minobe qui s’imagine que tout sera fini quand il sortira du love hotel après ces cinq jours. Mais la question paraît bien plus large : que faire face à la violence de ce qui arrive ? Cinq jours en mars montre aussi une forme d’absurdité, bien retranscrite par l’humour de la narration, avec ses détails parfois futiles et ses préoccupations bien éloignées du conflit. Une manière aussi d’évoquer la vacuité du langage : si on ne parle que très peu de cette guerre, c’est aussi parce qu’on n’a peut-être pas les mots pour décrire ce que l’on ressent.

Récit en construction avec le public

En revanche, Cinq jours en mars est une pièce qui demande un certain contact avec le public : un domaine dans lequel l’équipe sur scène excelle. Les spectateur/trices sont véritablement considéré-es comme une entité à part entière faisant partie du spectacle, comme récepteur/trices de l’histoire, à travers de nombreuses adresses directes. Le jeu des « chauds-froids », entre légèreté apparente du récit et violence de la guerre, est magnifiquement mis en avant dans la mise en scène. L’utilisation de la vidéo, créée par Camille de Dieu, est particulièrement pertinente à cet égard. On aperçoit d’abord, durant le récit de la manifestation, des couleurs flash, reprenant celles des enseignes lumineuses des rues de Shibuya, et qui reviennent également sur les drapeaux présents. Ces couleurs criardes sautent aux yeux comme un cri de détresse, un appel à l’aide pour les populations des pays en guerre. On note surtout l’impressionnant contraste entre le karaoké – moment quelque peu insolite, léger et durant lequel on rit beaucoup – et les images de guerre diffusées immédiatement après, sans transition. Le choix de projeter ces deux éléments sur une petite partie de l’écran nous renvoie immédiatement à nos téléphones portables où images légères et violentes peuvent parfois s’enchaîner. Une autre manière d’aborder l’absurdité du monde.

Le jeu des acteur/trices se développe également tout en contrastes, entre enthousiasme exacerbé – notamment lorsqu’il est question des rapports sexuels entre Minobe et Yukki – et attention silencieuse, dans des moments plus graves. À travers leur jeu, ils et elles transmettent beaucoup d’émotions. Le public est ainsi particulièrement réactif, entre éclats de rire face à l’absurdité du récit – on pense aux longues tirades expliquant la topologie de certains lieux – et effarement devant la violence de certaines images. Effarement qui laisse généralement place à un silence pesant.

La construction du propos se transcrit également dans la scénographie de Wendy Tokuoka. Composée de différents modules montés sur roulettes, chacun représentant un lieu de l’action – chambre du love hotel, gare du métro, restaurant… Ils sont également surmontés d’une icône lumineuse permettant facilement de l’identifier, et évoquant les spots et enseignes qui descendent du plafond, pour rappeler subtilement celles qu’on trouve à Tokyo. Un joli choix de lumières signé Guillaume Meylan. Ces modules, souvent en mouvement, permettent de montrer le côté vivant de ce spectacle, mais ont aussi un effet rassembleur, lorsqu’ils s’accrochent entre eux. Durant ces moments, les comédien-nes se trouvent d’ailleurs tous/tes au plateau. Par ces choix, la mise en scène de Nadim Ahmed invite à l’union. Un choix très symbolique et qui transmet des valeurs importantes, au-delà de la salle de spectacle. Les costumes, conçus par Ljubica Markovic, illustrent également une certaine recherche, un côté « stylé » qu’évoquait Nadim Ahmed en interview, qui rappelle bien le rapport à l’image avec lequel nous vivons constamment. Le tout appuie le jeu, en formant un ensemble totalement cohérent. Sans oublier la musique, composée par Nounoute, qui s’avère discrète la plupart du temps, mais vient également appuyer certains temps forts du spectacle.

Bref, les choix de mise en scène et la cohérence entre les différents éléments s’avèrent excellents, pour combler ce qui nous manque malheureusement au niveau du texte.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Cinq jours en mars, de Toshiki Okada, traduit en français par Corinne Atlan, du 7 au 19 octobre 2025 au Théâtre du Loup.

Mise en scène : Nadim Ahmed

Avec Antoine Courvoisier, Angelo Dell’Aquila, Fjolla Elezi, Judith Goudal et Ali Lamaadli

https://theatreduloup.ch/spectacle/cinq-jours-en-mars/

Photos : ©Gabriel Asper

 

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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