Les réverbères : arts vivants

La mega giga fête à la saucisse

En ouverture du Festival Montreux Comedy, Aymeric Lompret et Pierre-Emmanuel Barré réussissent une mise en abime spectaculaire, tant sur la forme que sur le fond. Ils brossent en effet sans vergogne un portrait décomplexé d’une Amérique qui se félicite d’avoir viré à droite sur les ruines du wokisme. Les deux barons de l’humour ne craignent pas d’affronter un public qui s’est saigné aux quatre veines pour être nourri d’une soupe à l’eau. À l’image de l’hégémonie des médias mainstream assassinant toute velléité de pensée critique pour faire de la culture un divertissement. 

Avouons-le de suite. On avait hâte de voir les deux phénomènes susmentionnés sur scène. Les écoutant religieusement chaque semaine à la radio, on se réjouissait de retrouver les piques acerbes du ronchon et le comique naturel du pochtron. La production promettait par ailleurs la création d’un gala assez extraordinaire pour l’occasion. Finalement, le fait que la soirée soit aussi rythmée par une dizaine d’autres humoristes semblait autant de rictus en plus sur les lèvres. 

Mais diantre. Force a été de constater que le soufflé est rapidement retombé. Passé le plaisir d’une intro gros son, danse et lumière devant un public acquis, ni la qualité du texte ni celle du jeu ne furent vraiment au rendez-vous. Notes à la main, les Messieurs Loyaux du soir ont tôt donné la sensation de se vautrer dans les lauriers de leur gloire artistique : dialogues approximatifs, décrochages à répétition, grosses ficelles zizi-pipi-caca… Quant aux invités, certaines performances ont certes fait honneur à leurs auteur/trices alors que d’autres sont restées dans un rapport humoristique plus… confidentiel. Même la si originale Giedré a trop vite été censurée par un Oldelaf pas au mieux de sa drôlerie. Nous y reviendrons.  

Insistons d’abord sur le duo de présentateurs. De l’homme-canon aux pom-pom men en passant par les cops racistes ou autre Oncle Sam (plus déguisé que costumé), les caricatures se sont accumulées sans pouvoir s’appuyer sur une dramaturgie un tant soit peu lisible. Peu d’intérêt donc, que cela soit dans les mots ou l’interprétation (mais encore aurait-il fallu construire des personnages…) Alors, devant les mines quelque peu consternées des groupies de cette vaste fumisterie, nous avons été obligés de chercher un autre sens pour comprendre ce à quoi on assistait. Et voici ce qui est ressorti de nos esprits trop aficionadocés pour accepter l’improbable :  

Avec leur mentor Guillaume Meurice, Aymeric Lompret et Pierre-Emmanuel Barré dénoncent depuis des années l’hypocrisie des puissants qui se moquent du peuple en s’enrichissant sur son dos. Leurs chroniques sur France Inter puis Radio Nova sont écoutées comme paroles d’évangile païen. Leurs spectacles cartonnent. Toute une frange de la population retrouve dans leur diatribe le souffle d’un Coluche ou autre Desproges se servant de l’humour comme levier pour éveiller les consciences et appeler à un changement de système. Hasta la revolucion siempre. Et aujourd’hui, leur talent leur a permis à leur tour de devenir des stars américaines, des personnes puissantes d’un univers artistique mercantile. Alors, pour aller au bout de leur logique, ils ont mis sur pied un plan machiavélique. Lequel ? Lisez l’enregistrement pirate des deux guignols sur la Terrasse du Lausanne-Palace, quelques heures avant leur Gala. Une exclusivité Moudonpart :  

Aymeric
Wouah. Se faire inviter dans le pays du fric comme têtes d’affiche d’un des plus gros festivals. On est vraiment des enculés.  

Pierre-Emmanuel  
Des enculeurs, Aymeric. C’est dans ce sens…  

Aymeric 
Ah bon ? C’est nous qu’on va aller nous mettre dans les gens ? Mais on n’a pas toujours dit que ceux qui font ça c’est pas bien ?  

Pierre-Emmanuel  
C’est pour leur bien justement… 

Aymeric 
Je comprends pas.  

Pierre-Emmanuel  
Ça m’étonne pas.  

Aymeric 
Heu… Fais pas la tête bandante. T’es rien sans moi.   

Pierre-Emmanuel  
On dit la tête pensante, Aymeric.  

Aymeric 
Rien à branler. 

Pierre-Emmanuel 
Je sais. Mais écoute au lieu de te toucher. Les puissants se foutent du peuple. Là, c’est nous les puissants. Et on est du côté du peuple. Mais pour que le peuple comprenne, on va se foutre de lui.  

Aymeric 
T’es trop fort. On dirait Louis Sarkozy.  

Pierre-Emmanuel 
Tu veux une septième chope ? C’est Grégoire Furrer qui paie. 

Aymeric 
Ouais. Avec un bon burger au caviar.  Et comment qu’on fait pour se foutre du peuple qu’on veut en même temps qu’il comprenne qu’on se foute de lui mais qu’on l’aime ?  

Pierre-Emmanuel 
On lui vend de l’étron et on fait en sorte qu’il en redemande.   

Aymeric 
T’es un génie. Mais comment qu’on dit au peuple que c’est pas bien alors qu’il est content quand même ?  

Pierre-Emmanuel 
Quelques jours après, on fait une déclaration dans un média local – tu connais la Pépinière ? – en disant qu’on a fait une action politique militante pour sortir le peuple de sa torpeur et qu’il se rende compte à quel point de déliquescence la lobotomie des médias le conduit…  

Aymeric 
Je suis pas sûr de mettre les mots dans l’ordre mais je vois l’idée. D’ac. Alors qu’est-ce qu’on prépare pour le gala de ce soir ?  

Pierre-Emmanuel 
Rien. On improvisera sur le moment avec nos vieux trucs. 

Aymeric 
Genre quelques gros clichés racistes sur les Ricains ?  

Pierre-Emmanuel 
Genre. On fera aussi les lettres de l’alphabet et pis tu me monteras dessus en majorette.  

Aymeric 
T’es un génie, Pierre-Emmanuel.  

Pierre-Emmanuel 
Louis. Appelle-moi Louis.  

Ainsi tout s’éclaire. Et lorsque le pauvre Aymeric se voit obligé d’entrer dans un canon à l’aide d’un escabeau ou quand le triste Pierre-Emmanuel se fait sodomiser par le premier nommé, alors on décode derrière ces actions provocatrices toute la portée politique, révolutionnaire et géniale de la radicalité de leur posture d’artistes. Cette leçon valait bien un fromage, aurait dit un autre amateur de raclette d’antan… 

Le second avantage de cette entourloupette est que, en comparaison, les autres humoristes ne pouvaient (presque) que briller vu le niveau de nos deux Che Guevara trumpiens. Au premier rang des invités, mention spéciale pour Thomas VDB qui est le seul à avoir travaillé un propos dans le thème de la soirée et qui nous a régalé de ses gromelots amerloques. Ex-aequo avec Mathieu Nina qui affiche son handicap pour rire de lui et nous embarquer avec bonheur dans son univers décalé. Sur la deuxième marche du podium, on placera Laurie Peret qui excelle avec de très drôles ruptures de rythme entre chansons et textes. Elle est suivie de près par Amandine Lourdel, petite pépite de la radio (elle aussi). Médaille en chocolat pour Tristan Pierre qui a eu le rude honneur de la première partie. Et finalement, juste devant la voiture-balai, Julie Conti embourbée dans un poncif homme-femme sur l’infidélité et, surtout, Marie De Brauer qui confond malheureusement souvent grossièreté et vulgarité.  

Arrive enfin un sketch de nos deux idoles qui semble écrit. Magie du théâtre, nous nous retrouvons alors au Montreux Late Show. Pierre-Emmanuel fait le présentateur élégant et reçoit Aymeric, champion du monde, qui commence par vomir au premier degré son record de saucisses ingurgitées. S’en suit un dialogue enfin à la hauteur de leur talent. On se plaît à imaginer tout un gala de cet acabit. Mais ce n’était pas le but. Il fallait qu’on touche le fond pour que le peuple se rende compte du complot islamophobe d’extrême-droite à l’œuvre chez Oncle Picsou comme chez les autres Mickey européens. Mission accomplie haut le slip. Grâce à vous, les gars, la Suisse va enfin assumer ses 35% de droits de douane pour se démarquer des révolutions conservatrices en cours. Quoi ? Non ? Aie. On m’apprend qu’on est redescendu à 15% le lendemain du Grand Soir… Se pourrait-il que tout le monde n’ait pas capté le super méga giga message de cette soirée de gala ..?  

Pierre-Emmanuel 
Tu vois, Aymeric, ils n’ont rien à nous envier, les Suisses.   

Aymeric 
Tu veux parler de leur fromage ?   

Pierre-Emmanuel 
Ils sont trop cons pour accéder à notre message.  

Aymeric 
On est des génies incompris. 

Pierre-Emmanuel  
Ouais, les Van Gogh de l’humour. 

Aymeric 
La prochaine fois, on demandera encore plus de fric. 

Pierre-Emmanuel 
Et on fera un spectacle muet. Grégoire va adorer.  

Aymeric 
T’es un génie, Pierre-Emmanuel.  

Pierre-Emmanuel 
Vincent. Appelle-moi Vincent.  

Stéphane Michaud 

Infos pratiques :  

Le super mega giga show à l’américaine, soirée de gala animée par Aymeric Lompret et Pierre-Emmanuel Barré dans le cadre du Festival Montreux Comedy. 

Avec Pierre-Emmanuel Barré, Julie Conti, Marie De Brauer, Giedré, Aymeric Lompret, Amandine Lourdel, Matthieu Nina, Oldelaf, Laurie Peret, Tristan Pierre et Thomas VDB.  

Photos © Kobayashi 

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, auteur heureux et metteur en scène chanceux, Stéphane aime prendre son temps grâce à la lecture, à l’écriture et au théâtre. Écrire pour la Pépinière prolonge le plaisir des spectacles.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *