L’Abri, la planque genevoise pour l’expérimentation contemporaine
L’Abri a dévoilé ce jeudi 3 octobre le nouveau millésime artistique de la saison. Dans une ambiance festive et bon enfant, Rares Donca a annoncé sa septième saison placée sous le « signe de la sagesse », pour reprendre ses mots. Treize artistes de tous horizons, tous transdisciplinaires.
L’Abri, situé Place de la Madeleine, accompagne depuis 2015 des artistes émergents de divers horizons dans leurs projets en mettant à disposition des espaces de répétition, matériel, rencontres et suivi d’acteurs culturels de la scène autant régionaux qu’internationaux.
À l’entrée, la nouvelle communicante des lieux, Thaïs Julillerat, me tend un petit paquet de cartes roses nouées par un fil de laine rose. Ces dernières sont confectionnées par les jeunes talents de la maison et de la saison qui seront mis à l’honneur durant cette soirée à la Madeleine, illustrant leur visage telle une carte de visite.
L’Abri, lieu hétéroclite, avec des artistes de divers horizons, est ce soir plein à craquer.
Échange avec Selim Dir Milaisi, un jeune homme trans, souriant et très sympathique, censé présenter sa recherche artistique dans le cadre de cette soirée. Dans une discussion à bâtons rompus ressortent essentiellement les thématiques du genre et de l’identité, le cœur battant de la recherche artistique de ce garçon à moitié algérien. Son parcours de technicien du spectacle l’a mené à la pratique à la fois de la musique et de la performance. En ce moment, son sujet de prédilection : la lumière. Sa recherche porte autour des reflets sans éclairage frontal. Entre deux explications, il m’informera que la Makhno, bar à tendance punk populaire auprès des étudiants, fermé depuis l’an passé, aura été remplacé par le « kauri » (coquillage que l’on retrouve notamment dans les tresses africaines), un lieu tenu d’après mon interlocuteur par des personnes « queer » et « racisées », dont lui, qui y travaille.
Et puis vient le moment de la présentation. Sur le devant de la scène, Rares Donca, directeur de l’Abri, qui accueille une salle pleine et comble, chose assez exceptionnelle pour une simple présentation de saison.
Cette septième saison semble avoir comblé ce qui faisait défaut aux précédentes : un focus sur l’accompagnement à long-terme et une structuration plus solide. Est aussi souligné l’importance de prendre le temps avec les artistes, tout au long de leur recherche pour coconstruire avec eux des projets qui pourront être montrés à un public. Cet accompagnement, si cher à l’Abri, est une valeur d’une importance considérable pour cette institution. Rares nous déroule le plan du déroulement de la soirée. Une première vidéo de cinq minutes censée tirer le portrait des artistes présents (et non-présents, car à l’Abri, les absents sont « à l’abri » de tout oubli), puis ce sera au tour de chaque artiste de se présenter individuellement, et pour finir, une vidéo d’une dizaine de minutes devra clore la présentation des treize artistes et de leur recherche. Enfin, annonce du programme et apéritif de fin de soirée.
Des jeunes qui cherchent et se cherchent
Rares s’efface. Sans transition, la première vidéo est diffusée sur grand écran. Le spectateur pénètre dans un monde sombre, fait de chaînes, de lumières diffuses et de sons étranges. On y palpe quelque chose d’impalpable. On découvre les treize artistes, unis par la transversalité de leurs domaines et leur transe créative.
Et puis vient le moment des présentations, faite en format mixte. La première à prendre la parole est Juliette Gampert, une artiste multidisciplinaire mêlant audio, danse, mapping avec le corps comme médium principal. Juliette est à la fois blanche et afro descendante de troisième génération. Son souhait est de recréer une danse « décoloniale ». Inspirée par ses voyages en Jamaïque, elle cherche à retrouver ses racines à africaines à travers la danse. Cette jeune femme donne également des cours de danse dans les écoles et partage sa pensée décoloniale et déconstructiviste avec ses élèves.
Et puis, il y a Victor Delétraz, le showman du groupe. Après des études de graphisme et un diplôme du Workmaster à la HEAD, il s’est orienté dans le monde du spectacle. Ce touche-à-tout visuel et performatif travaille (entres autres) beaucoup avec les effets pyrotechniques et la mousse dans le cadre de ses performances. Ses projets ? « Faire un grand spectacle » dira-t-il joyeusement pour clore sa partie. Côté musique, il espère sortir quelque chose prochainement.
Un autre nom qui ressort est celui d’Isabela del Carmen Abad Montalvo, artiste mêlant BDSM et reggaeton sur scène. « À défaut de collaboration, je travaille pour l’instant seul », confiera-t-il au public. Ce jeune homme aux cheveux courts verts se cherche, comme la plupart des artistes sur cette scène. La question du métissage – de par ses origines andines, étant originaire de Quito – le travaille. Il adopte une position décolonialiste et déconstructiviste dans une vision multi-artistique et queer.
Enfin, un dernier nom que je pourrais citer est celui de Serguei Leonov, un jeune homme issu d’une formation classique qu’il a intégré dès ses 4 ans, le rêve de toute mère soviétique. Diplômé du Collège de musique et du Conservatoire d’État de Saint-Pétersbourg, il a obtenu un Master en composition à la Haute école de musique de Genève en 2022. Le musicien se pose en ce moment des questions sur les mythologies et les cultures différentes de ce monde. Son objectif ? Briser les codes et les frontières entre la musique classique et la pop. En ce moment, il travaille avec des synthétiseurs et différentes machines mises à disposition par l’Abri. Mention spéciale : il fait de la musique avec des plantes.
La vidéo d’une dizaine de minutes finira par clore cette soirée. Cette dernière présentera des séquences illustrant le travail des artistes.
Chaque séquence est empreinte de l’univers de l’artiste associé, et permet d’avoir un aperçu de son travail créatif et surtout, de sa personnalité, sa griffe.
Cet article, pour des raisons de synthèse et de par le nombre d’artistes présents et non-présents sur scène, n’aura pas pu faire honneur à toutes et tous, néanmoins, il aura permis au lecteur d’avoir un aperçu des talents issus du terreau fertile et prometteur de l’Abri.
Apolonia M.-E
Les détails sur chaque artiste associé sont à retrouver sur le site de l’Abri.
Photo(s) : © Apolonia M.-E