Les réverbères : arts vivants

Le mystère plane autour de Denise

Au Grütli, Camille Mermet propose un spectacle qui ressemble plus à une expérience à vivre pour les spectateur·ice·s. Avec elle, nous faisons la connaissance de Denise et tentons, comme dans une enquête, de comprendre qui elle est, voire ce qu’elle est. À voir jusqu’au 5 octobre.

« L’entrée se fera par les toilettes ». L’annonce a de quoi surprendre, et pourtant, c’est ainsi qu’on nous accueille lors de la première de Denise, au moment de retirer le billet d’entrée. Et pour cause, avant d’atteindre le foyer pour attendre le début de la représentation, nous passons par une « installation Denise » : malle de souvenirs, photos, montages techniques et visuels, tiroir dans lequel on peut trouver des tampons, un test de grossesse et un petit mot, et ce message énigmatique : « Ici, tout est vrai. » On le comprend de suite, ce spectacle a quelque chose de particulier, hors du commun. Sur le flyer, on nous décrit la soirée comme un polar, dans lequel Camille Mermet sèmera des indices pour nous permettre de mener l’enquête. Les différents éléments de l’installation semblent en être les premiers. Notez que j’écris tout cela avant que ne débute la pièce, et que je ne toucherai plus à cette introduction, de peur que la suite de la soirée ne biaise ces informations. En entrant dans la salle, par la scène, nous faisons la rencontre de Camille Mermet, qui semble avoir beaucoup d’énergie à décharger : elle fait des allers-retours dans les gradins, court, saute, a besoin du contact du public pour se mettre dans l’ambiance, puis commence par une introduction. Apparemment, elle aime bien faire cela.

« Tout ce que vous entendez est vrai »

On le disait, Denise est avant tout une expérience. C’est aussi le nom du personnage interprété par Camille Mermet. Est-ce seulement cela ? On pourrait dire encore que c’est tout un projet, un spectacle, des souvenirs, une histoire, un jeu de mots peut-être, plusieurs personnages, une fiction, la réalité… C’est que la soirée a de quoi dérouter : les lumières dans les gradins ne s’éteindront que pour les quarante dernières minutes d’une soirée qui dure environ 1h45 au total. Le reste du temps, Camille Mermet, ou Denise, on ne sait plus trop, interagit avec les spectateur·ice·s. Une phrase revient alors comme un leitmotiv : « Tout ce que vous entendez est vrai », elle nous informe ainsi que le fait de nommer les choses les rend vraies, existantes. Et si c’était cela, la clé de l’enquête ? Quelque chose qu’on ne peut nommer ?

Durant toute la représentation, donc, elle sème différents indices sur ce qu’elle a à nous raconter, tout en nous rassurant sur le fait qu’il est normal que nous ne comprenions rien pendant longtemps. Dans le désordre et de manière non-exhaustive, il est question de larves, d’une chanson, de maternité, des invisibles, d’une intrusion dans une maison, de peur, de honte, de coups, d’une manifestation, de bourgeoisie, d’hydroféminisme, de chaussures ou encore de connexion interespèce… autant de thèmes abordés qui paraissent, de prime abord, totalement aléatoires et confus. Et pourtant, c’est tout le contraire. Mais cela, il nous faudra un moment pour le comprendre.

Des effets à la pelle

Tout le propos et les liens entre les différents éléments narrés auparavant deviennent clairs durant les quarante dernière minutes du spectacle, où, semble-t-il, la véritable Denise prend enfin la parole pour nous raconter son histoire. On ne vous dévoilera rien de ce qu’elle dit ici, au risque de tout gâcher. Ce qu’on peut vous dire, en revanche, c’est que le spectacle est agrémenté de nombreux effets. À commencer par les effets sonores. Il y a d’abord ce son, sec et violent, qui se déclenche à chaque fois que Camille Mermet touche le micro ou le pied de ce dernier. Il y a cette voix, qui se transforme par moments sans qu’on ne sache vraiment comment, pour devenir robotique ou ressembler à ces voix trafiquées, comme dans les émissions de télévision ou des témoins ou victimes ne veulent pas être reconnu·e·s. Tout cela nous rend d’abord les choses encore plus confuses : est-ce Denise ou Camille qui parle ? Un peu des deux peut-être ?

Le spectacle est aussi empli de nombreux mouvements : déplacements sur la scène – et même hors du plateau –, courses peu organisées, contacts avec le public… sur la plateau nu, où on ne retrouve qu’un micro sur pied et son câble, Camille Mermet occupe l’espace, tantôt pour le remplir, tantôt parce qu’on a le sentiment que son personnage est gêné de quelque chose. Elle évoque d’ailleurs souvent la honte, ou la peur, avec cette volonté de nous dire quelque chose, sans y parvenir. On comprend alors mieux le rôle des effets sonores : masquer sa propre voix, devenir Denise, ou une autre. Si bien qu’on ne sait plus si l’histoire est totalement fictive, emprunte à la réalité, complètement réelle. Camille Mermet nous narre ainsi un récit à la fois intime, celui de Denise, et universelle. Elle précise d’ailleurs penser que toute cette histoire, bien que touchant Denise dans son for intérieur, est collective. Difficile ici de tout expliquer sans dévoiler de quoi il est question. On vous dira simplement que ce que raconte Denise est sans doute l’un des événements les plus intimes qui soient, mais qu’il nous relie, toutes et tous, d’une certaine manière. Et c’est ce qui fait la beauté de ce spectacle : nous sommes dérouté·e·s, voire perturbé·e·s, pendant une grande partie du spectacle, avant que tout ne s’éclaire – paradoxalement au moment où la salle s’assombrit –, d’un coup, comme un déclic. Et alors que Camille/Denise annonçait avoir envie de nous faire rire, on se surprend à être touché·e par son histoire, lorsqu’on la comprend, non sans avoir réussi à rire pendant une bonne partie du spectacle.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Denise, de Camille Mermet, du 1er au 5 octobre 2024 au Grütli – Centre de production et de diffusion des arts vivants.

Mise en scène : Camille Mermet

Avec Camille Mermet

https://grutli.ch/spectacle/denise/

Photos : ©Camille Mermet

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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