Le sens des choses
La magie de la magie – Après l’hiver – un spectacle proposé par le Théâtre L’Articule au Théâtre des Marionnettes de Genève – jusqu’au 27 octobre 2024.
On connaît l’adage, la dernière saison est suivie par la prochaine. C’est donc tout naturellement que le public est accueilli par le premier volet du quadriptyque musical de Vivaldi. Une attente qui a du sens. Et c’est bien de cela que le spectacle parle : du sens des choses. Car dans le monde dans son entier, rien n’existe sans cela.
Le spectacle débute par du temps suspendu, du temps pour quelque chose, le temps de prendre un thé, le temps de la rencontre. Table basse, mur de papier cloisonné, c’est depuis l’ombre de la théière projetée sur le papier mural que l’on passe dans l’imaginaire. C’est doux et poétique, c’est sensible et recevable par les mômes.
Le pinceau prend les choses en main, puisque tout de noir habillé, les comédiens n’existent pas dans l’histoire. L’ombre de la théière devient tronc, son bec devient branche. On dirait du Prévert en peinture. Puis l’herbe monte, les tiges s’élancent, les fleurs éclosent, les feuilles poussent dans un temps de vie qui est la première articulation du spectacle. Dans de très jolies couleurs naît le héros du récit : une chenille. Un p’tit être qui, tout comme les grands, va devoir se découvrir lui-même, ainsi que le monde et ses surprises. Le public s’interroge ; c’est qui ? Papa, c’est qui ? La chenille quitte le monde peint, se dérobe au monde imaginaire pour devenir un être « bien vivant ». C’est la réponse à la question. C’est la magie de la magie.
Le public s’amuse des tribulations de la chenille qui lutte face au vent qui l’emporte, tandis que l’été arrive. Tous les yeux de la salle admirent la tentative de la chenille de voler avant que les ailes lui poussent. Il faut attendre. C’est une des leçons du temps. Ici, les choses s’éprouvent à l’intérieur de soi.
Puis, dans le monde contenu dans le tableau de papier, l’arbre porte des pommes qui deviennent rouges. La chenille se prend pour un vers, tandis qu’au loin un oiseau tout aussi gourmand est tenté par le fruit et… la chenille. Ainsi vont les choses. Les pommes sont destinées aux chenilles et ces dernières sont destinées aux oiseaux. La mort approche, c’est ainsi dans la vie, dans les histoires. C’est une des étapes de tout récit selon Campbell, grand spécialiste des mythes (Le Héros aux mille visages).
Que dire aux enfants concernant la mort, le deuil, la souffrance ? Faudrait-il se taire, feindre de les ignorer ou changer de sujet ? La vie qui n’a jamais promis une existence de bien être sans souffrance. Ce spectacle ne se dérobe pas. C’est très bien et très bien fait.
Car le récit porte tout comme le pommier l’entier de la connaissance des choses et c’est sans violence que l’oiseau tente de manger la chenille. Heureusement pour cette dernière, plus la gourmandise est grande, plus elle est tentante. L’oiseau choisi de s’envoler le ventre lourd, tandis que la chenille se remet de ses émotions.
Avec de beaux gestes picturaux, l’hiver arrive. La neige recouvre les choses. La chrysalide débute. Et dans ce temps suspendu par le froid, dans le temps d’une tasse de thé, la nature poursuit son œuvre.
Après l’hiver on s’’en souvient, comme si c’était hier, le printemps revient et les papillons volent.
Un beau spectacle qui promet aux enfants, avec le sourire et sans mensonge, une place dans ce monde. C’est le sens des choses.
Jacques Sallin
Infos pratiques : Après l’hiver, du Théâtre l’Atricule , au Théâtre des Marionnettes de Genève, du 16 au 28 octobre 2024.
Conception : Fatna Djahra
Avec : Fatna Djahra et Christophe Noël
Photos : ©Carole Parodi