Le sexe, ni la mort
Ne peuvent se regarder de face… mais on peut en rire – Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable – une adaptation théâtrale du livre de Romain Gary par Valentin Rossier, à la Scène Caecilia jusqu’au 28 septembre.
Valentin Rossier, dont le travail ne laisse jamais indifférent, nous propose de nous pencher sur des héros familiers du théâtre : l’amour, le sexe, le temps, la mort. Soyons heureux, dans cette adaptation, ils sont tous réunis. Ici, le héros ne défie pas l’amour, il se défie d’un sexe infidèle et pense à la mort.
L’impuissance masculine est au cœur du livre et donc au cœur des choses. On a beau être tous et toutes au courant, il va falloir un jour faire le deuil des multiples traîtrises de notre corps. Il y en a tant ; des bénignes comme des plus sévères. Le deuil s’impose sur scène par un décor épuré violet, une couleur associée au vert, une couleur complémentaire symbole des choses cruelles. Un lit place l’amour désir au centre de l’aventure. Le monde extérieur est projeté sur une surface, tantôt écran, tantôt miroir.
À trop s’inquiéter de son entre-jambes, Jacques Rainier, une sorte de Bernard Tapie en puissance, va trouver dans ses fantasmes de quoi régénérer sa libido. Ses affaires chutent, il doute du monde, tombe amoureux d’une poulette à papi et constate, non sans frayeur, que la tour de Pise ne se redressera jamais. Des lieux communs certes, de 1975 oui… mais ici l’originalité est de leur donner une dimension sévère, piquante et drôle.
Eh oui, le temps passe. Ses stances sont marquées par la dépose et l’enfilade régulière du pantalon du héros. L’épaisseur de jeu de Valentin Rossier convient au personnage et à ses inquiétudes. Elles sont provoquées par des comparaisons avec une conversation au saut du lit d’un double de lui-même, Jim Dooley, une sorte de JR Ewing incarné par Vincent Jacquet dont le jeu est très net. S’ensuivent les consultations médicales et plus particulièrement, une médico-légale tenue à domicile par l’excellent comédien Mauro Bellucci. Un médecin centré sur la biologie des faits, se fichant totalement des fadaises amoureuses. Un moment formidable de drôlerie, d’humour et de réalité féroce.
La résolution du problème prostatique n’arrivant pas, Jacques Rainier poursuit sa quête, enquête, consulte et au-delà de tout, s’entête à honorer Laura dont il est amoureux (Michelle Shapa) qui comme tout fantasme est plus rêvé que vécu. Que faire quand la biologie a pris le pouvoir ? Accepter, il ne s’y résout pas… quitter le jeu, pas si simple… tirer la prise… il l’entrevoit. L’homme va traverser de longues heures.
Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable… qui vous a dit qu’il n’y avait qu’un seul quai ? La force de ce spectacle est de proposer une trame parfaitement déclinable avec tous les déclins. L’impuissance fait rire certes, d’autre soucis font sourire ou non selon le sexe tel l’alopécie, il y en a qui font trouver l’existence cruelle. Seulement, l’injustice s’impose au moment où l’on arrive devant le quai, ce n’est nullement le fait qu’il existe une gare.
Valentin Rossier donne une densité nouvelle à un spectacle intelligent et divertissant. Romain Gary est très bien servi.
Jacques Sallin
Infos pratiques :
Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable, adaptation de Valentin Rossier à la Scène Caecilia, dans le cadre de Scène Vagabonde Festival, du 16 au 28 septembre 2025.
Mise en scène : Valentin Rossier
Avec Valentin Rossier, Mauro Bellucci, Vincent Jacquet, Michelle Shapa
https://scenevagabonde.ch/au-dela-de-cette-limite-votre-ticket-nest-plus-valable/
Photo : © Carole Parodi
