Les réverbères : arts vivants

Les enfants du XXème siècle

Au Théâtre des Marionnettes de Genève, on traverse les époques. Dans Bon débarras !, on suite l’évolution du XXème siècle à travers des yeux d’enfants. À voir jusqu’au 26 janvier.

Tout commence en 2017, alors que Bouchra emménage avec sa mère chez Nils, le fils du nouveau copain de celle-ci. Dans cette famille recomposée, les deux enfants se retrouvent dans le débarras, et y retrouvent les traces de ceux ayant vécu ici avant eux : mèche de cheveux, cahier d’écriture, livre, et mêmes des entailles sur le mur… Ainsi, on retrouve Joseph et Éléonore, enfants de 1906. Elle veut devenir médecin, mais c’est impensable pour une femme. Sans cesse dévaluée par ses pairs, elle luttera toutefois pour croire en ses rêves. En 1925, on fait la connaissance de Maurice, le fils de Joseph, sans cesse puni parce qu’il fait des bêtises. Il finira par s’en sortir puisqu’en 1944, c’est sa fille Yvette qui attendra impatiemment le retour de son papa, au milieu des bombardements. Neuf ans plus tard, elle est avec sa petite sœur Anne-Marie, qui n’a pas connu la guerre. Les relations seront ainsi parfois tendues entre elles. Enfin, il y a Mathéo et Laura, enfants de 1986, qui craignent la menace atomique… À travers les tableaux qui s’entremêlent, c’est une véritable fresque du XXème siècle, sous forme de puzzle, que la compagnie belge Alula présente en ce moment.

Une évolution marquée

Le XXème siècle a été riche en événements. Avec lui, les progrès technologiques, l’émancipation de la femme, mais aussi les deux Guerres Mondiales et autres catastrophes nucléaires ont touché l’Europe. Dans ce spectacle, ces événements apparaissent en filigrane, mais c’est une vision plus intime qui est proposée : celle des enfants. Dans le débarras d’une vieille maison, construite par le père de Joseph et Éléonore, on retrouve tous ces enfants, avec une constante : tous s’y sont réfugiés pour trouver un peu de réconfort et se cacher des adultes. Ainsi, ce sont les relations entre parents et enfants qui sont d’abord questionnées. Si les premiers enfants obéissent au doigt et à l’œil et que Maurice et sa mère se vouvoient, Yvette entretient quant à elle une relation plus privilégiée avec sa mère, due au contexte. Avec les époques plus récentes, les choses changent et les conflits surviennent, comme quand Nils refuse d’aller chez sa mère, qui klaxonne pourtant depuis 10 minutes pour le prévenir de son arrivée.

Les portraits de ces enfants sont ainsi symptomatiques de leur époque. Les contextes diffèrent, avec eux l’éducation et, entre autres, le rôle de la femme. Éléonore – la future médecin -, qui finira par couper ses tresses pour ressembler à son frère, fait figure de pionnière. De son côté, Yvette semble interdire à sa petite sœur de pleurer après avoir été punie, parce qu’elle n’a pas connu la guerre, elle. Peut-on pour autant ne pas être triste ? Ne pas avoir vécu l’une des pires périodes de l’Histoire, sans savoir combien de temps on allait encore vivre, empêche-t-il les larmes ?

Les préoccupations, enfin, ne sont pas les mêmes. Au début du siècle, on lutte pour l’égalité – même si cela est encore d’actualité, les questionnements ne sont plus tout à fait les mêmes – alors que plus tard, c’est la potentielle fin du monde qui est au centre de l’attention. Au milieu de cela, il faut évoquer Maurice, qui vit dans une période trouble où on lui interdit de parler wallon à l’école, ou encore de manger ce qu’il aime en période de carême. Une tradition qui s’est presque entièrement perdue aujourd’hui…

Des marionnettes plus que vivantes

Dans ce débarras monté sur roulettes, qui tourne et se retourne, s’agrandissant ou se modulant comme une scène au gré de l’imagination des enfants, tout se passe. La technique employée ressemble à celle du bunraku, avec des marionnettes à taille humaine, manipulées à vue. Le travail est ainsi dense derrière ce spectacle, puisque les marionnettistes parviennent à reproduire les gestes des enfants, différents selon les époques, dans leur façon de se tenir, de se vêtir, ou encore de parler. Ces détails qui n’en sont pas permettent ainsi une immersion totale dans les époques racontées. Cette technique permet également aux manipulatrices d’interpréter elles aussi des personnages, plus secondaires : ceux des adultes. La marionnette étant au centre, cela permet d’insister sur le rôle principal dévolu aux enfants dans ce spectacle. Leur taille implique également un côté très vivant. On a ainsi l’impression de voir évoluer de vrais personnages, avec la gestuelle des enfants, comme dans ce passage où Laura s’entraîne à danser ou quand Nils fait du hip-hop, provoquant l’hilarité des enfants spectateurs.

Bon débarras !, c’est donc un spectacle dont on n’a pas envie de voir la fin. On veut en découvrir encore plus, savoir comment la société évolue, pourquoi, comment les enfants voient le monde, eux qui sont les adultes de demain. Et ils ont bien plus à nous apprendre qu’on aurait tendance à le croire…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Bon débarras !, de Sandrine Bastin, du 14 au 26 janvier 2020 au Théâtre des Marionnettes de Genève.

Mise en scène : Muriel Clairembourg, assistée de Margaux Van Audenrode

Avec Sandrine Bastin, Perrine Ledentet Laurane Pardoen

https://www.marionnettes.ch/spectacle/232/bon-debarras

Photos : © Geoffrey Mornard

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *