Le banc : cinéma

Marcel, Pagnol et leurs fantômes

C’est avec un film d’animation que Sylvain Chomet choisit de retracer la vie du grand Marcel Pagnol. Une réalisation qui sent bon le thym et les cigales. Un bonheur simple comme aimait à les raconter l’auteur. Marcel et Monsieur Pagnol sort aujourd’hui en salles. 

Marcel Pagnol est à l’apogée de sa carrière : il vient de présenter sa dernière pièce, Fabien, au Théâtre des Bouffes-Parisiens. À l’issue de la première, il rencontre une journaliste d’un magazine féminin, qui lui propose d’écrire ses mémoires et les publier sous forme de feuilleton. Mais alors que l’inspiration peine à venir, le petit Marcel, l’enfant qu’il était autrefois, surgit dans son bureau, avec son accent chantant et toute la candeur de sa jeunesse. Avec son aide, Pagnol revoit sa vie : son envie d’écrire, le manque d’épanouissement dans sa carrière de prof d’anglais, son installation à Paris, ses relations amoureuses, les premières pièces, la volonté de dépeindre sa Provence natale qu’il aime tant, mais aussi l’arrivée du cinéma parlant, la création de ses studios et, fatalement, la guerre qui est venue tout chambouler… C’est surtout à travers les fantômes qui l’accompagnent, ceux des personnes qui ont tant compté pour lui et ont disparu depuis, que se raconte son histoire. 

« Si on ne peut plus tricher avec ses amis, ce n’est plus la peine de jouer aux cartes. » (Marius) 

Sylvain Chomet est passé maître dans l’art de l’animation. Après Les Triplettes de Belleville, L’Illusionniste, et un extrait particulièrement réussi dans Joker : folie à deux, il revient une nouvelle fois avec quelque chose de très graphique. Rappelant l’univers de la bande dessinée ou du roman graphique, les personnages semblent se détacher d’un décor qui est bien plus qu’un simple apparat. Le visuel s’inscrit ainsi parfaitement dans la tradition de Marcel Pagnol, avec son écriture très suggestive, cette volonté de garder les accents et l’essence de la Provence. On le voit parfaitement avec Raimu (doublé par Thierry Garcia), son acteur fétiche, et la fameuse scène de la partie de cartes dans Marius, que le comédien a fait répéter en cachette pour la jouer sur scène, à l’insu de Pagnol ! Sylvain Chomet rend ainsi un bel hommage au Pagnolisme, avec les couleurs chaudes de son animation, le franc-parler cher à l’auteur, et les histoires familiales et personnelles mises en avant. On peut toutefois s’interroger sur le choix du Parisien Laurent Lafitte pour doubler Pagnol – un choix mis en question par l’acteur lui-même. Mais la passion a fini par l’emporter et, bien encadrée, sa prestation s’avère plus que convaincante. Une manière également de montrer l’évolution de l’auteur, et son accent moins marqué suite à son passage à Paris, contrastant avec celui du petit Marcel (Noa Staes). On notera également le joli symbole dans la musique du générique de fin, interprétée par Julien Schwarzer, alias SCH, originaire d’Aubagne comme Pagnol, devenu un symbole de Marseille, et lui aussi très attaché à sa région. 

Marcel et Monsieur Pagnol revient donc sur les moments marquants de la vie de l’auteur. On y revoit son expérience de la boxe, qui lui a laissé son nez si particulier, et qui illustre l’impulsivité dont il a pu faire preuve après la perte de sa mère. On le suit ensuite dans sa vie parisienne, marquée par le départ de son premier grand amour, loin de la vie attendue, mais aussi par certaines galères, et l’écriture de textes qui ne lui correspondaient pas. Avec cette expérience vient aussi la recherche d’une voix, et d’une voie. Son retour et son attachement à sa Provence marquent un tournant, avec un sourire qui illumine à nouveau son visage, et des couleurs retrouvées à l’écran, loin de la grisaille parisienne. On évoquera encore son passage au cinéma, cette merveilleuse invention qu’un passionné de technologie comme lui ne pouvait manquer. La construction de ses studios est ainsi particulièrement marquante, jusqu’à l’arrivée de la Guerre, venue tout chambouler… Mais cela ne l’empêche pas de conserver son enthousiasme et sa motivation. Et comme l’œuvre de Pagnol, ce film est une véritable déclaration d’amour à sa région, et à celles et ceux qui ont compté pour lui. 

« De mourir, ça ne me fait rien. Mais ça me fait de la peine de quitter la vie. » (César) 

Pour illustrer ce rapport à celles et ceux qui lui sont chers, Sylvain Chomet fait le choix de faire apparaître des fantômes, pour accompagner Pagnol dans ses souvenirs. Le petit Marcel est bien sûr le plus marquant, lui qui le guide à travers sa mémoire, et montre qu’il est toujours resté à ses côtés, pour veiller sur lui, et surtout s’assurer qu’il tiendrait sa promesse faite à sa mère de devenir célèbre un jour. Sa mère, avec son ombre bienveillante, est également toujours présente, bien évidemment. Sans oublier Raimu, son acteur fétiche, dont le décès a bouleversé le pauvre Pagnol. Et puis, il y a son frère, Paul, figure centrale de ses Souvenirs d’enfance, et qui l’accueillera symboliquement à ses côtés, à la fin du film, rappelant la citation de César sur la tristesse qu’il éprouve à quitter la vie, sans pour autant craindre la mort. Une manière, une nouvelle fois de montrer son attachement, à la fois aux vivant-es qu’il laisse derrière, mais aussi aux mort-es qu’il retrouvera. 

Marcel et Monsieur Pagnol est certes un biopic centré sur la vie de Marcel Pagnol, mais il va bien au-delà. Car, bien plus que la vie de l’auteur, ce sont ses valeurs que l’on retient, à travers les moments forts de sa vie. Sans enjoliver son parcours, Sylvain Chomet illustre aussi les mauvais côtés de Pagnol : les écueils de sa vie amoureuse – dans laquelle il a aussi une grande part de responsabilité –, ses explosions de colère après la mort de sa mère, ou encore les déceptions face à sa carrière avortée d’ingénieur. Ce film montre toute la dimension humaine, avec quelque chose de touchant, pour (re)découvrir Marcel Pagnol, avec toute la douceur nécessaire, à travers un univers proche de celui qui a fait son succès aussi. Un bien bel hommage à découvrir dans les salles obscures. 

Fabien Imhof 

Référence : 

Marcel et Monsieur Pagnol, réalisé par Sylvain Chomet, France, sortie en salles le 15 octobre 2025. 

Avec les voix de Laurent Lafitte, Thierry Garcia, Géraldine Pailhas, Elsa Pérusin, Olivia Gotanegre, Noa Staes… 

Photos : ©Wild Bunch Distribution 

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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