Le banc : cinéma

Joker : Folie à deux : une suite ratée ?

Sorti au début du mois d’octobre, Joker : Folie à deux a surpris son monde par sa forme. Après l’énorme succès du Joker avec le brillant Joaquin Phoenix, que penser de cette suite, dont on a entendu beaucoup de mal et qui n’a pas obtenu les audiences espérées ?

Nous avions laissé Arthur Fleck (Joaquin Phoenix), alias Joker, triomphant après les émeutes à Gotham. Désormais interné à l’hôpital psychiatrique d’Arkham, il attend le début de son procès. Alors que le procureur Harvey Dent (Harry Lawtey) réclame la peine de mort, la question centrale est de savoir si on peut tenir Arthur pour responsable de ses actes, ou s’il souffre de troubles de dédoublement de la personnalité. Le procès déchaîne les passions, entre ses codétenus qui le soutiennent, et les gardes de la prison, à l’image de Jackie Sullivan (Brendan Gleeson), qui le maltraitent et ne cautionnent pas ses actes. Durant les semaines qui précèdent le procès, Arthur a l’occasion de participer à des séances de musicothérapie. C’est là qu’il fait la connaissance de Lee, se son nom complet Harleen Quinzel (Lady Gaga), celle qui deviendra Harley Quinn. La romance débute rapidement entre les deux complices. Le titre du film évoque cette relation qui se développe sur fond d’une folie partagée. Durant plus de deux heures, nous suivons donc l’évolution de cette relation, mais aussi celle du procès, dans une forme de huis clos entre la prison et le tribunal.

Une comédie musical, un choix douteux ?

Commençons tout de suite par crever l’abcès qui a déchaîné les critiques : Joker : Folie à deux s’apparente à une comédie musicale. Pour quelqu’un qui, comme moi, est tout sauf adepte du genre, on pourrait se dire qu’il est difficile d’entrer dans le film. Pourtant, cette dimension est loin d’être dérangeante. Au contraire, ce choix est bien amené et tout à fait justifié, par la musicothérapie d’abord, et par cette folie grandissante qui lie les deux personnages principaux. À mesure que leur relation évolue, Arthur et Lee s’imaginent la suite, ce qu’iels pourront construire une fois libre. Leur ambition semble démesurée et hors des réalités, mais le fantasme d’un empire criminel et d’une domination totale existe bel et bien. Les moments chantés font alors état de ce rêve, de ces projections, à l’exception peut-être de la scène de la tentative d’évasion, qui scelle sans doute leur union et revêt de ce fait une grande dimension symbolique.

La plupart du temps, les scènes chantées prennent place dans l’univers d’un talk-show, mené par Joker et Harley. Ce choix dresse un lien évident avec le premier film et le show de Murray Franklin, qui a révélé au grand jour les premiers meurtres d’Arthur. On comprend également mieux la scène d’ouverture de Joker : Folie à deux, tout à fait surprenante de prime abord. Dans un dessin animé style Merrie Melodies, on retrouve Joker et son ombre, qui agit de manière totalement indépendante. Après s’être détachée de son personnage, elle enchaîne agressions et meurtres, avant d’être récupérée par le Joker, qui finit par être tabassé par les forces de l’ordre. La dimension symbolique de cette scène initiale ne nous apparaît que petit à petit dans l’évolution du film, avec une grande subtilité et force d’évocation. Au final, le choix de la forme d’un film musical, voire d’une comédie musicale, s’avère plutôt convaincant, n’en déplaise aux nombreuses critiques entendues à cet égard. On soulignera toutefois que l’on peine parfois à comprendre si les scènes concernées sont de l’ordre du rêve ou de la réalité, ce qui perturbe par moments la compréhension globale. Ce qui nous est montré révèle toutefois une certaine ambiguïté dans la relation entre Arthur et Lee, qui est sans doute le point central de Joker : Folie à deux.

Harley Quinn, personnage mal exploité ?

Le choix de la comédie musicale et de l’ambiance en huis clos fonctionnent donc plutôt très bien ! Ce qui nous dérange plus dans Joker : Folie à deux est le traitement du personnage d’Harley Quinn, encore en devenir. Joaquin Phoenix et Lady Gaga sont tout à fait convaincant·e·s dans leur interprétation. Le premier continue dans la lignée de Joker, toujours aussi grandiose. La seconde joue sur le fil du rasoir entre folie et raison, avec une interprétation bien plus sobre que la Harley Quinn de Suicide Squad campée par Margot Robbie. À ce niveau-là, il n’y a pas grand-chose à redire. Sans compter le talent de Lady Gaga dans les parties chantées, mais on pouvait s’en douter…

Non, ce qui nous dérange plus est le sentiment que le personnage de Lee n’est pas suffisamment approfondi. Lors de sa rencontre avec Arthur, elle lui dévoile avoir été internée après avoir mis le feu à la maison de ses parents. Une version que l’avocate d’Arthur, Maryanne Stewart (Catherine Keener), ne corrobore pas du tout. Lee s’avère en réalité être diplômée en psychiatrie et avoir choisi volontairement d’être internée. D’où sa « libération » inattendue. On peine alors à bien comprendre son rôle et sa relation à Arthur. Une véritable folie semble se développer, mais à quel point est-elle développée chez Lee ? Et surtout, qu’est-ce qui l’a déclenchée ? On commence alors à se questionner : Arthur est-il un simple objet d’étude pour elle, ou éprouve-t-elle une véritable fascination pour lui ? On en viendrait presque à douter de l’amour qu’elle lui porte, alors que celui-ci paraissait sincère au départ… On aurait donc souhaité plus de profondeur, pour mieux comprendre où le scénario voulait en venir avec elle. Cela annonce-t-il un autre film, plus centré sur l’histoire de la future Harley Quinn ? Le doute est permis ! On reste toutefois sur notre faim, d’autant plus que la figure du Joker nous semble particulièrement bien exploitée. La fin du film, que nous ne raconterons évidemment pas ici, nous dévoile d’ailleurs une autre facette de ce personnage, avec une dimension sans doute plus large, symbolique et puissante que ce qu’on avait pensé. Une issue énigmatique très prometteuse. Et si Todd Phillips était en train de construire une série de films en forme de dynastie ?

Fabien Imhof

Référence :

Joker : Folie à deux, réalisé par Todd Phillips, États-Unis, 2024.

Avec Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Catherine Keener, Brendan Gleeson, Harry Lawtey…

Photos : ©Niko Tavernise/™ & © DC Comic (banner) et ©2024 Warner Bros. Entertainment Inc. (photo du couple et affiche)

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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