Master Cheng : vous prendrez bien un peu de tendresse ?
Un quadragénaire chinois débarque en Laponie finlandaise pour rechercher un ami dont il a perdu la trace. S’ensuivra une histoire d’amour sur fond de cuisine et de forêts. Mika Kaurismäki signe avec Master Cheng une comédie décalée et revigorante.
Cheng (Chu Pak Hong) est le chef d’un restaurant réputé en Chine. S’il quitte la trépidante Shanghai pour se rendre à Pohjanjoki, un minuscule village du Nord de la Finlande, c’est dans le but de retrouver un certain Fongtron. Personne n’en a pourtant jamais entendu parler. Le trouvera-t-il malgré tout ? Qu’a-t-il donc de si important à lui dire ? Armez-vous de patience, les réponses se feront désirer.
En échange de son aide pour retrouver le mystérieux Fongtron, Cheng accepte de donner un coup de main à Sirkka (Anna-Maija Tuokko), la patronne de l’unique restaurant du coin. Seule en cuisine, elle ne fait pas vraiment d’étincelles avec son menu qui se décline quotidiennement autours de deux mêmes ingrédients : la pomme de terre et la saucisse. Les recettes innovantes et les couteaux affutés de Cheng auront tôt fait de révolutionner ce modeste établissement pour le bonheur des habitants du coin. À force de saler leurs plats ensemble, la relation de Sirkka et Cheng prendra comme on l’attend un tour romantique.
Images et sons au premier plan
Cheng ne parlant pas plus finnois que Sirkka mandarin, c’est dans un anglais très précaire qu’ils tenteront de communiquer. Autant dire que ce n’est pas pour la richesse des dialogues que le film s’illustre. Ajoutez à cela des protagonistes plutôt introvertis et taiseux, on l’aura compris, l’essentiel se passera de mots.
Kaurismäki accorde en revanche un soin absolu à l’esthétique sonore. Craquement des arbres, clapotis de l’eau sur le lac, chaque son est magnifié comme pour rendre hommage à la nature omniprésente dans le film. En cuisine, même son de cloche : découpe des aliments, friture, crépitements, de quoi avoir l’eau à la bouche.
Pour ne rien gâcher, la photographie est sublime. Imaginez une partie de pêche un soir d’été indien au pays du soleil de minuit. Et le réalisateur n’est pas avare en plans larges pour restituer cet univers enchanté, notamment lorsqu’il capture les rayons de soleil sous leur angle le plus avantageux.
Ce choix de porter l’attention sur le son et l’image compense largement la pauvreté des dialogues et rappelle qu’un film n’est pas conditionné que par le jeu d’acteurs mais bien aussi par les éléments techniques qui le composent.
Des différences culturelles peu marquées
Encore un film qui se fait l’écho des clichés culturels ? À regarder la bande annonce, on pourrait craindre que le film use de cette ficelle déjà souvent exploitée pour dénoncer le racisme envers l’étranger qui débarque et dont on se méfie avant de l’accepter au final. Heureusement ce n’est pas le cas ! Si Cheng fait l’objet de curiosité c’est davantage pour la raison de sa présence et l’exotisme de sa cuisine que pour ses origines, ce qui est reposant.
De la même manière, le côté « provincial donc bizarre » parfois irritant dans certaines comédies (Bienvenue chez les Ch’tis par exemple) n’est pas non plus poussé à l’extrême. Pas de clichés énormes sur les lapons, tout au plus deux piliers de bar un brin exagérés dans leur rôle, mais sans qu’ils ne soient tournés démesurément en dérision.
L’intention du réalisateur semble plutôt être de décrire des personnages essentiellement bienveillants, nourrissant de nobles sentiments les uns pour les autres. Il n’y a véritablement aucun méchant dans le film et cela désarçonne un peu. Ce pari d’éviter la part sombre de l’humain est audacieux car le risque de tomber dans la mièvrerie est grand et pourtant ça marche, totalement même ! Pourquoi faudrait-il systématiquement sonder la perfidie de la nature humaine ? Si on accepte de se laisser conter fleurette dans cette tendre fable aux messages simples « good food make people happy », on passera assurément un bon moment.
Master Cheng est une histoire d’amour et d’amitié assez banale, rendue cependant extraordinaire par la nature improbable de la rencontre des personnages. Ajoutez-y un somptueux décor naturel où le nombre de sapins rivalise avec le nombre de voyelles dans les noms des habitants et vous obtenez une sorte de Bagdad Café à la scandinave, où la forêt aurait remplacé le désert. C’est un film pas prétentieux qui se laisse savourer comme un bon plat convivial et qui réussit dans sa vocation de convaincre que l’important n’est pas le but mais le chemin.
Valentine Matter
Référence : Master Cheng, Mika Kaurismäki, 114 minutes (sortie en salle le 4 novembre 2020)